From 7556590fff3e6836cfd5e2724fa509b9d68809ca Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: =?UTF-8?q?Mau=20Palant=C3=ADr?= Date: Wed, 25 Sep 2019 11:15:16 +0200 Subject: [PATCH] =?UTF-8?q?Jeran=20Gilbert:=20Vers=20le=20p=C3=B4le=20en?= =?UTF-8?q?=20a=C3=A9roplane?= MIME-Version: 1.0 Content-Type: text/plain; charset=UTF-8 Content-Transfer-Encoding: 8bit encoded by Rezearta Murati --- level0/Gilbert.xml | 2657 ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ 1 file changed, 2657 insertions(+) create mode 100644 level0/Gilbert.xml diff --git a/level0/Gilbert.xml b/level0/Gilbert.xml new file mode 100644 index 0000000..f3c4096 --- /dev/null +++ b/level0/Gilbert.xml @@ -0,0 +1,2657 @@ + + + + + + + + Vers Le Pôle En Aéroplane : ELTeC edition + Gilbert, Jehan (1880-1940) + + encoded by + Rezearta Murati + + + + 34567 + + +

Hachette Livre 2018

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+ + BNF, Gallica + + + NANCY P. PIERRON, IMPRIMEUR-ÉDITEUR 1912 + +
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Vers le pôle en aéroplane : roman d'aventures

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+ LE BANQUET + +

Bans la grande salle des fêtes de 1’ « Aéro-Club », le banquet s’achevait. L’on + entendait un brouhaha confus de conversations, de vaisselle entrechoquée, + d’argenterie remuée. Prestes, les maîtres d’hôtel (circulaient entre les tables, + les plats à la main.

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Dans une loggia, la musique de la gar¬ de républicaine, à demi dissimulée par + des plantes vertes et des guirlandes de fleurs, commença une valse lente.

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La mélodie, d’abord sourde, puis toute menue, devint soudain langoureuse et c⬠+ line.

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Chacun l’éooutait sans cependant inter¬ rompre la conversation engagée. C’est là + l'une des plus grandes influences de la musique, d'avoir quand même prise sur + nos sentiments artistiques, alors qu’on n’y prête qu’une attention minime.

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Mais il fallait bien le reconnaître, ja¬ mais une musique aussi douce, aussi en¬ + veloppante n’avait eu autant de chances de plaire à ces nombreux convives que + groupait le banquet de l’Aéro-Club.

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C’était une valse spécialement composée pour cette réunion, par le jeune maître + Marc Delmas, elle s’intitulait « Horizons » et n’était de la première à la + dernière mesure qu’un enchantement.

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C’est que ce soir-là, 1’ « Aéro-Club » fêtait les récentes prouesses des + aviateurs français, ils étaient tous là au grand (com¬ plet, Lathon, Farlan, + Clériot, Faulhan, Dou- gier, et beaucoup d’autres encore.

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Et tous, aux accents de la valse «Ho¬ rizons », se laissaient aller à rêvasser : + oui, c’étaient bien les longues glissades dans l’air pur qu’exprimaient ces + phra¬ ses musicales.

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C’étaient bien les voluptés des vols pla¬ nés et des montées dans l’azur du ciel + que rendait avec une suavité exquise la mélo¬ die du compositeur. C’êtaîent les + magni*

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ficences des couchers de soleil, admirés depuis les hautes altitudes ; c’étaient + les mers nuageuses planant au-dessus de la terre; les plaintes mélancoliques du + vent, de l’ennemi, soufflant dans les structures des appareils.

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Et peu à peu toutes les conversations se tûrent, s’apaisèrent, les maîtres + d’hôtel eux-mêmes semblaient gênés de circuler et, marchant sur la pointe des + pieds, fai¬ saient le moins de bruit possible.

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Avec de langoureux accords, la valse mourut, doucement, doucement... Il y eut + une seconde de silence puis le ministre du commerce, le premier, battit des + mains.

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Ce fut du délire, une acclamation en¬ thousiaste qui monta vers le plafond de la + salle, avec des applaudissements fré¬ nétiques .

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De nouveau, le brouhaha recommença, les conversations reprirent, on était ar¬ + rivé au dessert.

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Les maîtres d’hôtel apportèrent le cham¬ pagne et le débouchèrent + silencieusement, la mode n’étant plus aux brusques et joyeuses explosions. + Cependant chacun en son fors intérieur les désirait, les re¬ grettait ces + détonations qui, jadis, étaient synonymes de joie et de gaîté.

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En effet, ce banquet n’était-il pas le

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triomphe de l’aviation et ne pouvait-on désormais considérer l’empire des airs + comme définitivement conquis.

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La semaine précédente, Lathon, si popu¬ laire en France, n’avait-il pas exécuté + d’une seule traite le voyage Bordeaux- Paris, et n’affirmait-il pas à tout le + mon¬ de qu’il était prêt à exécuter des ran¬ données d’une bien plus grande + étendue.

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La traversée de la Manche ne se faisait- elle pas couramment et les aéroplanes + n’étaient-ils pas aussi bien en faveur dans toute la France qu’à Paris?

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Le ministre du commerce se leva, la coupe à la main, il prononça un discours + dans lequel il exaltait le courage fran¬ çais et l’audace des aviateurs réunis à + la table d’honneur et, après avoir prodi¬ gué les éloges les plus enthousiastes + à ceux qui l’entouraient, il termina par l’ap¬ pel suivant :

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— Je vous en supplie, messieurs les aviateurs, messieurs les pionniers de l'air + qui m’écoutez. Il faut que la France con¬ serve le premier rang dans + l’aviation.

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« A qui demander cela, si ce n’est à vous que rien n’effraye et qu’au contraire + toutes les audaces attirent.

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« Oui, messieurs, poursuivez vos ex¬ périences, la France vous encouragera.

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Et je tiens à vous le dire aujourd’hui à vous tous qui m’entourez, vous trouve¬ + rez toujours auprès du gouvernement une sollicitude constante, une bienveillance + de tous les instants.

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« A partir d’aujourd’hui, je crée au mi¬ nistère du commerce un service spécial + exclusivement réservé à l’aviation : venez nous voir.

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« Tout à l’heure j’ai parlé d’encoura¬ gements, je tiens à, préciser, nous + sommes à votre disposition, messieurs, pour tout ce dont vous aurez besoin.

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« La main-d’œuvre militaire peut vous être utile, nous vous l’offrons ; nos + champs de manœuvre, nos camps d’instruction ? Prenez-les, ils sont à vous 1 La + France veut vous aider, facilitez sa besogne en lui donnant toute votre + confiance, en lui confiant tous vos espoirs.

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« Messieurs, je bois à vos triomphes, je bois à vos santés si précieuses, je + bois enfin à l’Aviation française victorieuse l

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Le ministre se rassit, les applaudisse¬ ments se déchaînèrent.

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Plusieurs orateurs prirent la parole et leur succès ne fut pas moins vif. Enfin + le président de l’Aéro-Club fit le discours suivant :

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— Messieurs, j’ai tenu à m’entretenir

+ + + +

avec vous le dernier, parce que j’ai une initiative remarquable à vous + proposer.

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« U me semble que la France a le de¬ voir de dépasser toutes les autres nations + en aviation, comme l’a si justement dit M. le ministre du commerce.

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« Or, je suis d’avis qu’il nous faut étonner le monde, mais je suis d'avis aussi + qu’il nous faut stimuler le génie de notre race en lui donnant l’occasion de + lutter avec celui des autres pays.

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« Je vous propose de fonder un prix de trois cent mille francs qui sera donné à + l’aviateur qui fera la prouesse dont je vais parler:

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■« Nous avons tous été intrigués par les allégations des explorateurs améri¬ + cains: Cook et Peary.

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« Us prétendent tous deux avoir dé¬ couvert le Pôle, leurs documents parais¬ + sent assez probants, mais il faudrait aller s'assurer de leurs allégations, + contrôler leurs dires et pour cela, messieurs, il me parait que l’aéroplane est + merveilleuse¬ ment indiqué.

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« Pourquoi ne tenterait-on pas de ga¬ gner le Pôle après s’en être approché le + plus près possible par voie de mer.

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« L’aéroplane a rendu bien des servi¬ ces, mais ne rendrait-il pas encore + celui-

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là et ne pourrait-il, d’une seule traite, al¬ ler directement au Pôle Nord, en + passant par dessus tous les obstacles et en mé¬ prisant tous les dangers?

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« Je crois, messieurs, que la chose est possible, 1’ « Aéro-Club » estime que + l’en¬ treprise est colossale, aussi se borne-t-il à vous dire par ma bouche : + nous donnons trois cent mille francs à l’aviateur qui le premier atteindra le + pôle et nous en rapportera des renseignements convain¬ cants.

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« Ceci n’empêche pas les bienfaiteurs habituels des sports d’ajouter les som¬ + mes qu’ils jugeront nécessaires.

+

« L’épreuvé sera internationale, chaque pays ne pourra se faire représenter que + par un concurrent; les aviateurs seront transportés à bord d’un bateau spéciale¬ + ment affrété jusqu’au point le plus pro¬ che du Pôle ou bien sur la terre ferme, + au Groenland par exemple, à un endroit où l’on pourra construire des hangars, + destinés au montage des appareils.

+

« L’Aéro-Club fera paraître ces jours- ci un règlement tout à fait précis de + l’épreuve, contenant les renseignements les plus exacts. Dans chaque nation, les + so¬ ciétés d’aviation devront s’entendre pour

+ + + +

désigner le concurrent digne de participer à. l’épreuve.

+

« Je vous demande aujourd’hui, mes* sieurs, de désigner celui d’entre nous qui + mérite de tenter l’expédition?

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Le président se tût.

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Aussitôt une clameur retentit, de tous côtés le nom de Lathon était prononcé + avec enthousiasme.

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Au bout de quelques minutes le pré¬ sident reprit :

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— C’est notre ami Lathon que vous dé¬ signez, c’est parfait. Eh bien, messieurs, + je bois au champion de la France, je bois à Lathon, je bote au succès de son + voyage au Pôle Nord.

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Des acclamations fusèrent à nouveau, c’était du délire, le silence se fit lors¬ + qu’on .vit le ministre du commerce se disposer à parler :

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— Le gouvernement français, messieurs, avait été pressenti par l’Aéro-OIub au + sujet de cette course au Pôle, le Conseil des ministres m’a chargé de vous dire + qu’il ajoute cent mille francs aux trois cent mille dont oq vient de vous parler + 1

+

Le marquis de la Lande agita le bras pour demander la parole puis il + annonça;

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— Je donne deux cent mille francs I

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Ne voulant pas demeurer en reste avec

+ + + +

le richissime marquis, ami de tous les sports, les gros instructeurs d'automo¬ + biles, les industriels qui se trouvaient là s’empressèrent de s'engager pour de + fortes sommes...

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Si bien que le président, lorsque le tu¬ multe fut un peu calmé, put + annoncer:

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— Messieurs, le prix du voyage au Pôle sera de %n million six cent mille francs + l :

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Un tonnerre d’applaudissements retentit.

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Le président ajouta :

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— Chaque concurrent devra faire les frais de son appareil, des hangars à bâtir + au point de débarquement, mais l’Aéro- Club se chargera du transport jusqu’à ce + point.

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Le président fit un signe et la mu¬ sique de la garde républicaine joua la + Marseillaise.

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+ II + LE MARQUIS DE LA LANDE +

Dans la coquette garçonnière des Champs* Elysées qu'habitait Pierre Lathon, l’on + n’en¬ tendait ce matin-là aucun bruit.

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Le jeune aviateur était rentré très tard.

+ + + +

ou très tôt, d'un banquet donné en son honneur et il avait intimé à son valet de + chambre l'ordre formel de ne pas venir le réveiller avant midi.

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C’est que depuis quelque temps, le jeune homme était de toutes les "fêtes, + chaque société sportive se faisait une gloire de l’avoir comme invité, et lui, + dans son désir de contenter tout le monde, acceptait tou¬ jours .

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Huit jours s’étaient écoulés depuis le banquet de l’Aéro-Club ; l’idée d’un con¬ + cours international pour gagner le Pôle avait obtenu un succès universel, un + suc¬ cès mondial.

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A l’étranger, ç’avait ‘été un enthousiasme fébrile, et les clubs d’aviation + s'étaient en hâte réunis pour prendre des détermina- , tions décisives.

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Lathon avait suspendu pendant quelque temps la série de ses vols magnifiques, il + se reposait pour ainsi dire, si l'on peut appeler se reposer le fait de se + coucher tous lçs jours à deux heures du matin et de banqueter + perpétuellement.

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Dix heures venaient de sonner, le valet de chambre Jacques époussetait + silencieu¬ sement les meubles du salon-bureau où son maître avait coutume de + recevoir les visiteurs, lorsqu’à la porte d'entrée don-

+ + + +

liant dur l'escalier plusieurs coups furent frappés.

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Le timbre électrique, par l’entremise obligeante d'un commutateur, restait obs¬ + tinément sourd lorsque des gens sollici¬ taient son bouton. Q'était là un des + côtés ingénieux de la demeure de Pierre Lathon.

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Or, ce matin là un visiteur s’obstinait à frapper la porte à coups + redoublés.

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Le valet de chambre avait, à chaque nouvelle tentative du visiteur, des accès de + rage concentrée et haussait les épaules.

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La consigne était la consigne ; il n’i¬ rait pas ouvrir. Jacques était un soldat + de race, les principes de l’obéissance étaient solidement ancrés en lui : il + obéis¬ sait sans réfléchir, aveuglément, parce qu’on le lui avait ordonné.

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Pierre Lathon avait engagé son valet de chambre dans des conditions particu¬ + lières ; il accomplissait en qualité de sous- lieutenant de réserve ses six + derniers mois de service militaire dans un régiment d’in¬ fanterie, à Saint-Malo + .

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H avait eu comme ordonnance Jacques, de son nom de famille Loniam, et avait pu + apprécier les qualités qui étaient en lui.

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, Certes, ce brave garçon, paysan nor¬ mand des environs de Cherbourg, n’était + peut-être pas au début très débrouillard.

+ + + + +

mais il était honnête et pratiquait la dis- création, sachant, s'il le fallait, + imiter le mutisme légendaire des carpes.

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Peu à peu, Pierre Lathon avait formé Jacques Loniam, il en avait fait le type + modèle de l’ordonnance d’officier garçon.

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Le jeune sous-lieutenant était réputé k Saint-Malo pour un bon vivant, son logis + de la rue des Hautes-Salles devait en voir de raides, se chuehottait-on à + l’oreille, avec cette exagération qui est le propre — ou le mie, comme on voudra + — de toutes les mauvaises langues.

+

Jacques Loniam interrogé ne voulut ja¬ mais répondre et son dévouement obscur + pour Pierre Lathon ne lui attira de la part des curieux et des commères que des: + « Quel imbécile !... Ce garçon est idiot î... Ce Loniam est une fichue bête !... + »

+

Heureusement pour lui, le sous-lieute¬ nant Lathon était perspicace, il remar¬ + quait et voyait tout. Si bien que vers la fin des manœuvres, Loniam s’entendit + te¬ nir le langage suivant :

+

— Loniam, vous allez être libéré, moi aussi ! Je vous propose, mon petit, de + venir avec moi à Paris, comme valet de chambre. J'ai besoin d’un garçon hon¬ + nête, débrouillard, dévoué, vous êtes tout cela. Acceptez-vous?

+ + + +

Enthousiasmé, le soldat de deuxième classe Loniam s’écria:

+

— Oui mon lieutenant, de grand cœur 1

+

Et voilà comment l’ordonnance Loniam, le fantassin Loniam, était devenu Jacques + tout court, valet de chambre de l’aviateur Pierre La thon.

+

Ah! ce n’était pas un domestique ordi¬ naire, il avait conservé pour son maître + le respect du soldat pour son officier.

+

C’est tout juste s’il ne joignait pas les talons en lui adressant la parole, et + par¬ fois ,11 lui arrivait de l’appeler encore « jnnn lieutenant ».

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Maintenant, Paris l’avait tout à fait formé, le naïf normand, d’une crédulité à + toute épreuve, avait fait place à un fin matois, au courant de toutes les + exigences de son métier et plus roublard à lui tout seul qu’une demi-douzaine de + valets de chambre.

+

Beau garçon, Jacques Loniam ne dé¬ sespérait pas d’épouser une ravissante feguné + de chambre qui, dans le même immeuble, était au service d’une vicom¬ tesse des + plus riches. L’assiduité qu’il lui témoignait, ne l’empêchait aucunement + d’assurer son service.

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Donc, en cette matinée, un visiteur avait le don d’exaspérer Jacques par sa + persis-

+ + + +

tance à vouloir pénétrer dans le coquet et minuscule appartement qu'habitait + Pier- re Lathon.

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Les coups devenant de plus en plus forts et Jacques malgré son flegme nor¬ mand + commençant à perdre patience, U se décida à aller ouvrir.

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Pans la demi-obscurité du palier, un homme de haute taille, très chic, très + élégant, apparut. H prit la parole et l’on distinguait aisément dans son accent + une mauvaise humeur passagère.

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— Eh bien, dit-il, vous ne m’entendez donc pas? Votre maître est-il là?

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— Il est là, monsieur, mais il ne reçoit personne.

+

— Il me recevra.

+

— Non monsieur.

+

— Mais vous êtes insupportable, mon ami, je vous dis d’aller avertir votre maî¬ + tre que je suis là : le marquis de la Lande.

+

Jacques s’inclina, il avait aussi le res¬ pect des titres, mais il avait avant + tout celui de la consigne.

+

— Monsieur le marquis voudra bien repasser, dit-il, monsieur Lathon est cou¬ ché + et ne se lèvera qu’à midi.

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Perplexe, le marquis de la Lande se taisait, lorsque la voix de l’aviateur s’é¬ + leva:

+ + +

Il est là mais il ne reçoit personne (page 16)

+ + + +

— Entrez donc, cher monsieur, je suis à vous dans un instant. Jacques condui¬ + sez monsieur dans mon bureau.

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Pierre Mathon venait de se réveiller en sursaut et avait reconnu la voix du + marquis. Pendant que ce dernier était in¬ troduit dans son bureau, il s’habilla + en bâte.

+

Quelques minutes plus tard U pénétrait à son tour dans 1% pièce où le marquis + l’attendait.

+

Ile se serrèrent la main avec effusion, car le marquis estimait fort Pierre La- + thon et ce dernier tenait le marquis en très haute considération.

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H avait en effet encouragé depuis trente ans toutes les entreprises modernes les + plus audacieuses comme les plus utiles.

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Grâce à lui, l’automobile avait fait des progrès gigantesques, ses usines de + Mont¬ rouge livraient bon an mal an des mil¬ liers de machines munies des + derniers perfectionnements.

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Grâce â lui, également, l’aéroplane avait été expérimenté en France, où les + exploits des frères Wright n’avaient trouvé que de trop lointains et de trop, + sourds échos.

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Nous avons vu enfin* que le marquis clc la Lande avait donné deux cent mille

+ + + +

franc», au banquet de l’Aéro-Club, pour le raid vers le Pôle*.

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— Bonjour mon cher voleur, dit le mar¬ quis en riant, lorsque Pierre Lathon ap* + parut dans le bureau.

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— Bonjour mon cher! repartit Pierre Lathon, que me vaut l’honneur de votre + visite... matinale, si j’ose dire?

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— Hum' ! Osez toujours !... Matinale, dix heures et quart!

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— Couché, deux heures 1

+

— Diable! Petit lever alors: midi! Je suis un importun, je m’en vais, vous pour¬ + rez vous recoucher.

+

— Vous plaisantez, restez donc! Et di¬ tes-moi: quoi de nouveau?

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— Eh bien oui, mon cher, quoi de nouveau? C’est à vous qu’il convient de poser + cette question. Il y a une semaine que l’idée du concours international de la + course au Pôle est lancée. Vous savez le succès qui vient de l’accueillir, avez- + vous songé aux dispositions qu’il vous convenait de prendre?

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Pierre Lathon eut un geste gamin :

+

— Ma foi non !

+

— Voilà qui est un grand tort. L’ex¬ pédition, d’après le règlement de l'Aéro- + Club, qui a paru hier, partira dans trois mois. Vous n’avez pas trop de temps + pour

+ + + +

vous préparer. Maintenant mon cher La- thon, laissez-moi vous dire que vous pou¬ + vez absolument compter sur mon concours financier.

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« Je vous demande comme un service de puiser dans ma caisse, vous me ferez + plaisir. Si vous gagnez le million et les six cent mille francs qui seront + décernés au premier prix, vous me rembourserez, sinon vous n’aurez à vous + occuper de rien.

+

— Vous êtes réellement trop aimable!

+

— Non ! j'aime mon pays et je veux le servir de toutes les façons. Je vous con¬ + nais, je vous apprécie à votre juste va¬ leur, je sais que vous ferez tout votre + pos¬ sible pour gagner le prix, aussi je veux vous encourager.

+

Vivement ému de cette marque de sol¬ licitude, Pierre Lathon serra la main du + marquis avec chaleur en disant :

+

— Merci! je veux me rendre digne de la sympathie que vous me témoignez et je + vous assure que je ferai l'impossible pour réussir.

+

— Bien! Ne perdons pas de temps à parler de tout cela et causons de choses + sérieuses : avez-vous un atelier assez grand pour construire votre appareil?

+

— Mon atelier d'Asnières me paraît largement suffisant.

+ + + +

— Non ! il ne dispose pas de tout l’ou¬ tillage nécessaire» il ne faut rien + négliger» mon cher ami» vous le savez bien, vous allez me faire le plaisir de + venir vous installer dans mon usine de Montrouge. Vous aurez ainsi sous la main + tout ce que vous pourrez désirer. Est-ce dit?

+

— Vous le proposez si aimablement que je n’ose refuser. Soit, je serai votre + hôte.

+

— Et vous gagnerez la course?

+

— Je tâcherai!

+

— Si! Il le faut pour notre honneur national ! Vous serez champion du monde + !

+

Le marquis se leva du fauteuil où il s’était assis puis, serrant de nouveau la + main de Pierre Lathon, il se retira sur ces mots:

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— Excusez-moi, j’ai des courses à faire jusqu'à midi... je vous attends à + l’usine, sans faute n’est-ce pas ? Cette après-midi ? Viendrez-vous ?

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— J’irai! répondit Pierre Lathon.

+
+ + +
+ + QUELQUES VISITEURS INATTENDUS +

Pierre Lathon était installé dans les usines du marquis de la Lande depuis déjà + plus d’un mois.

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Bien ne lui manquait 1 L’outillage était sans pareil, la main-d’œuvre de premier + ordre.

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L'atelier où se construisait l’aéroplane destiné à la course du Pôle était isole + des autres constructions de l’usine.

+

Pour y pénétrer il fallait montrer patte blanche, car Lathon n’aimait pas — à + juste raison — être dérangé dans son tra¬ vail. Le marquis de la Lande et lui + s’en¬ fermaient parfois dans le petit bureau adjoint à l’atelier, et là tous + deux se pas¬ sionnaient à résoudre des équations ou à tracer des plans de + certaines pièces de l’aéroplane.

+

Celui-ci s'avançait fort, c'était une ma¬ chine du mode précédemment adopté par + l’aviateur. Mais elle avait reçu plusieurs adjonctions: la place réservée au + pilote était plus vaste et pouvait loger troi3 per¬ sonnes, de plus elle était + entièrement re-

+ + + +

couverte d'une cloison en peau de mouton qui devait assurer l’habitabilité + parfaite de ce minuscule réduit par les froids les plus rigoureux.

+

Un système spécial de calorifère devait y entretenir une température modérée et + l’on ne voyait l’extérieur que par un vaste panneau que des feuilles de mica + recou¬ vraient en partie.

+

L’appareil était un monoplan, sa gran¬ deur était impressionnante.

+

Les moteurs — car il y en avait deux — avaient é«é l’objet de soins + particuliers, ils étaient logés eux aussi dans une aorte de petite cabine située + à l’avant de l’aé¬ roplane, et du volant de direction on pou¬ vait les inspecter + en soulevant un simple volet d’acajou.

+

Suivant un conseil du marquis de la Lande, Pierre Latbon avait décidé que + l’expédition française comporterait trois personnes: le mécanicien, un médecin + et lui-même.

+

Le médecin qu’avait choisi l’aviateur n’était pas le premier venu. Il s’appelait + Lucien Golfech, et dans les milieux médi¬ caux, de même que dans les milieux + scien¬ tifiques il avait acquis une juste renom¬ mée.

+

Trente ans à peine, et déjà Lucien Çk>l-

+ + + +

fech avait étonné ses camarades et ses professeurs par les remarquables travaux + qu’il avait publiés sur les maladies de cœur.

+

H s’affirmait comme un jeune maître ! H avait été le médecin de la mission + Berdoulet-Ladoubran, qui avait définitive¬ ment exploré la région — encore si + mysté¬ rieuse ü y a quelque temps — du lac Tschad.

+

Il avait séjourné au Congo, et ses obser¬ vations sur la maladie du sommeil + ainsi que sur les fièvres paludéennes, avaient occupé toute une séance de + l’Académie de médecine.

+

Nous l’avons dit plus haut, Lucien Gol- fech n’était pas seulement un médecin + des plus éminents, mais encore c’était un scientifique.

+

Des travaux sur les rayons N lui avaient ouvert les portes de tous les + laboratoires, on l'y accueillait avec joie, car son esprit clair, lucide et + inventif, trouvait parfois des solutions à des problèmes d’une com¬ plication + abracadabrante.

+

Tel était l’homme que Pierre Lathon s’était adjoint comme collaborateur.

+

C’était au demeurant un charmant gar¬ çon, très gai, exempt de toute pédanterie + et sachant tenir une conversation sur n’im-

+ + + +

portp quel sujet — chose assez rare et digne d’être signalée chez un + scientifique.

+

Quant au mécanicien, il est déjà connu de nos lecteurs, c’était Jacques Loniam, + le valet de chambre de Pierre Lathon et son ancien ordonnance.

+

Pour ceux qui seraient surpris de ce choix, nous donnerons volontiers quelques + explications.

+

Jacques Loniam n’avait certes rien d’un mécanicien, il ignorait l’art de + graisser un moteur, de le mettre en marche ou de le réparer.

+

Mais lorsqu’il avait appris que son maî¬ tre allait partir pour le Pôle, il + avait conçu le projet de l’y accompagner.

+

Très franchemant, il exposa son désir à Pierre Lathon.

+

— Mais mon vieux Jacques, lui fit observer le jeune homme, vous êtes fou! + Savez-vous conduire seulement une auto¬ mobile ?

+

— Non monsieur.

+

— Et vous voulez conduire un aéro¬ plane dans les régions polaires. Peste mon + petit, vous n’êtes pas dénué d’ambition.

+

Jacques ne se tenait pas pour battu, il insista :

+

— Je ferai remarquer à monsieur que

+ + + +

j’étais autrefois un simple paysan mala¬ droit et peu instruit.

+

— Et après?

+

— Je ferai remarquer aussi à monsieur qu’en très peu de temps je suis devenu, + grâce à monsieur, un valet de chambre en qui l’on peut avoir toute + confiance.

+

— C’est vrai, mais quelle déduction vou¬ lez-vous tirer de ce fait?

+

— Monsieur a fait de moi un bon valet de chambre, il pourrait en faire un bom un + excellent mécanicien.

+

Pierre Lathon, désarmé par ce raison- sonnement, se mit à rire et délibérément + il décida:

+

— Allons, quand on a de la bonne volonté c’est déjà quelque chose, mais je vous + préviens mon bon Jacques, si un mois avant mon départ pour les ré¬ gions + polaires vous ne me donnez pas complète satisfaction, je vous prierai de rester + aux Champs-E lysé js et d’y brosser avec la plus grande attention mes meu¬ bles + et mes tapis pendant mon absence.

+

Jacques Loniam avait accepté et coura¬ geusement s'était mis à l’étude, tous les + jours il venait à l’usine de la Lande et s’instruisait du mieux qu’il + pouvait.

+

Si bien qu’un matin ü eut la joie de s’entendre dire par son maître:

+ + + +

— Jacques, jè tiens à vous dire que .vous m’accompagnerez au Pôle, vous faites + des progrès stupéfiants.

+

Jacques Loniam se rengorgea et ne fut pas éloigné en cet instant de se + prendre

+ +

Ce jour là, l’équipage du navire aérien était réuni au grand complet, le docteur + Lucien Golfech expliquait au marquis de la Lande et à Pierre Lathon quels appro¬ + visionnements médicaux il emportait avec lui. Dans un coin de l’atelier, + Jacques, tout en serrant un écrou, écoutait atten¬ tivement.

+

Un ouvrier entra et vint accoster le mar¬ quis à qui il parla à voix basse. Le + marquis eut un mouvement étonné puis donna l’ordre suivant:

+

— Conduisez ce monsieur et cette dame

+ +

ici

+ +

L’ouvrier disparut, le marquis ajouta pour ses interlocuteurs :

+

— Une surprise, messieurs, voici une visite au moins inattendue : Le concur-

+

Tohnson Faber, sa femme et

+ +

Quelques minutes s’écoulèrent, puis les nouveaux arrivants firent leur entrée. + Les présentations eurent lieu rapidement et de façon brève.

+ + + +

Johnson Faber était une homme d’une quarantaine d’années, à la figure com¬ + plètement rasée, au regard énergique et investigateur.

+

Sa femme Katy avait environ trente- cinq ans, elle s’était mariée toute jeune et + avait l’air d'adorer Johnson Faber, car les regards qu’elle lui lançait disaient + très ingénûxnent l’admiration et l’estime dans laquelle elle le tenait.

+

Elle était d’une beauté très régulière et joignait à une grâce naturelle une dé¬ + sinvolture charmante, un laisser-aller dé¬ licieux .

+

Nelly Faber avait dix-sept ans, c’était la plus exquise frimousse de jeune + anglaise qu’on puisse rêver.

+

Brune, chose plutôt rare chez les femmes de sa race, elle avait les yeux les + plus malicieux et les plus rieurs. Une petite bouche très gracieuse et très + mobile ache¬ vait de donner à sa physionomie une ex¬ pression changeante et très + sympathique.

+

Johnson Faber, de passage à Paris, avait tenu à rendre visite à Pierre Lathon + qu’il avait vu une fois au meeting de Blaak- pool et entrevu seulement à celui + de Berlin.

+

— Etes-vous prêt? demanda-t-il.

+

— Pas encore, répondit le jeune aviateur,

+ + + + +

mais d’ici quelques jours je compte exé- cuter ma première sortie avec cet appa¬ + reil. Voulez-vous vous approcher, je vais vous le montrer.

+

Avec une coquetterie toute française, il montra son monoplan à son concurrent. H + faut dire d’ailleurs pour la louange de ce dernier, que Jolmson Faber n’eut pas + demandé mieux que d’agir de la même façon.

+

Lorsqu'il vit la cabine du conducteur, il s’écria avec le plus pur accent + français :

+

— Combien de places dans votre appa¬ reil ? Au moins trois, n’est-ce pas ?

+

— Trois en effet, et voici mes colla¬ borateurs 1

+

D’un geste large, il désigna Lucien Gol- fech qu’il présenta, puis Jacques qui + fit une révérence pour répondre au petit sa¬ lut bref de l’aviateur anglais.

+

—. Oui, reprenait Pierre Lathon, nous serons trois pour tenter cette épreuve, je + crois que ce ne sera pas trop.

+

— C’est un minimum, en effet, dit à. son tour Johnson Faber. Mes collabora¬ + teurs à moi, les voici: Katy et Nellyl

+

Et le sourire aux lèvres, ü montra sa femme et sa fille qui s’inclinèrent.

+

— Mesdames, dit Pierre Lathon, je ne puis que vous féliciter de .votre + audace

+ + + +

et je ne puis qu’envier M. Faber d’avoir avec lui de telles compagnes. Si + j’avais été marié, certainement ma femme aurait été de l’expédition. Quels + encouragements constants, quelles énergies ne doit-on pas trouver dans une telle + collaboration?

+

Johnson Faber hocha la tête et reprit:

+

— Oui, c’est une collaboration à la¬ quelle il me serait pénible de + renoncer.

+

Fuis, changeant soudain de conversation, ü dit:

+

— Avez-vous vu que le dirigeable alle¬ mand du comte Dreppelin va se rendre au + Pôle lui aussi ?

+

Pierre Lathon s’étonna :

+

— Pas possible, vous m’apprenez cette nouvelle 1

+

— Oui, et j’estime qu’il y a là une lutte du plus haut intérêt entre le plus + lourd que Voir et le plus léger!

+

— Nous remporterons la victoire ! D’ail¬ leurs, le dirigeable Dreppelin ne + saurait être un concurrent pour nous, puisque le règlement de l’Aéro-Club a bien + spé¬ cifié que l’épreuve internationale ne se¬ rait disputée que par des + aéroplanes.

+

— Oui, mais il y a là tout de même une concurrence morale. Le Dreppelin se + trouvera à peu près à la même époque que nous au Spitzberg, le lieu d’où + nous

+ +

i

+ + + +

devons partir. M. Lathon, je vais vous poser une question qui vous semblera + peut-être un peu naïve : Comptez-vous triompher ?

+

— Mais pourquoi pas ? D’ailleurs, j’ai baptisé mon aéroplane du nom de « Pour¬ + quoi pàs? » Voyez-voua, M. Faber, lors¬ qu’on a la volonté de vaincre, vaincre + n’est rien. C’est aussi vrai pour nous au¬ tres pionniers de l’air que pour les + offi¬ ciers et même les simples soldats.

+

Le visage de Joknson Faber rayonnait :

+

— Serrons-nous la main 1 s’exclama l’an¬ glais. Je suis heureux d’avoir un + concur¬ rent tel que vous. Moi aussi je veux triompher l Moi aussi je dis + pourquoi pas ? Et c’est ainsi qu’il faut être, M. Lathon : acharné à pouvoir ce + que l’on veut et décidé à tous les efforts, à tous les hé- roïsmes...

+

« Oui, je suis content de penser que nous tenterons l’épreuve ensemble, voilà + qui va me stimuler, car nos autres con¬ currents, vous savez, c’est piteux.

+

« L’on se demande où les autres pays ont déniché ces gens-là... ils n’ont + presque pas paru dans nos meetings officiels et internationaux.

+

« Vous, vous êtes un audacieux, un loyal compagnon, M. Pierre Lathon, je

+ + + +

vous estime et suis fier de vous le dire.

+

Le marquis de la Lande, qui était de¬ meuré silencieux jusqu’à ce moment prit la + parole :

+

— M. .Johnson Faber, dit-il, permettez- moi de vous inviter à dîner pour ce + soir, vous, madame Faber et mademoiselle Nel¬ ly, nous aurons pour compagnons + Pierre Lathon et le docteur Lucien Golfech. Ce sera pour nous une belle occasion + de faire plus amplement connaissance. C’e3t dit?

+

Joyeusement, Faber accepta après avoir consulté sa femme et sa fille du + regard.

+

Quelques minutes plus tard, l’anglais quittait l’usine après avoir pris rendez- + vous pour l'après-midi, à l’heure du thé, au Palace-Hôtel, ou l’aviateur était + des¬ cendu .

+

Après leur départ, Lucien Golfech qui ne détestait pas pratiquer la moquerie, + s’écria :

+

— Hé I Hé 1 Pierre Lathon, je crois que la (petite Nelly Faber ne vous regarde + pas d’un œil indifférent!

+

Pierre Lathon haussa les épaules :

+

— Vous êtes fou mon cher docteur!

+

— Pas fou du tout ! Mais c’est si naturel, vous n’avez pas l’air de vous douter + que vous êtes un héros et que votre réputation est mondiale !

+ + + +

— Quand voua aurez fini de me « chi¬ ner », docteur I

+

Le marquis de la Lande les interrompit gentiment :

+

— Dites-moi, mes enfants, si vous ba¬ vardiez un peu moins et si vous vous + décidiez à travailler un peu.

+

« Cette visite nous a fait perdre beau¬ coup de temps, ne trouvez-vous pas ?

+

Moqueur, le docteur Lucien Golfech ri¬ posta :

+

— On ne perd jamais de temps quand on admire des dames aussi charmantes que + madame et mademoiselle Faber !

+

Pierre Lathon haussa les épaules une deuxième fois et alluma une cigarette.

+

Quant à Jacques Loniam dans son coin, il jeta un regard furibond au docteur: il + n’aimait pas qu’on touche à son maître, même en plaisantant.

+
+ +
+ AËAOV1LLE +

Vous aurez beau chercher dans le Bot- tin des départements, voire même de l’é¬ + tranger, vous ne trouverez pas AêrovUîe.

+ + + +

En vain demanderez-vous le renseigne¬ ment au guichet spécial d'une gare ou au + télégraphe, on vous répondra sur toute la ligne, si j'ose ainsi m’exprimer :

+

— Inconnu t Inconnu I Ne vous payez pas ma tête !

+

Et cependant Aêroville existe ou plutôt j a existé, car à l’heure où nous + écrivons ce récit, les événements que nouâ racon- • tons ont déjà quelques + années de date et ; les maisons d’Aéro ville ne sont plus que des amoncellements + de planches vermou¬ lues.

+

Oui, Aéroville existe et c’est au Spitz- berg que cette importante cité a été + édi¬ fiée,

+

L’Aéro-Club français s’était décidé pour le Spitzberg, c’est là que devait être + donné le départ de la course Spitzberg-Pôle Nord, j aller et retour, qui + passionnait le monde i entier.

+

Les concurrente avaient été conduits sur cette île lugubre et glacée par un + paquebot spécialement frété pour la circonstance et qui avait pris le nom + Aéro-Club français.

+

C’était tout un petit monde qui avait débarqué au Spitzberg, les concurrente + étaient dix, ils représentaient la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, + l’Espa¬

+ + + +

gne, le Portugal, l’Autriche, la Bussie, le3 Etats-Unis et le Japon.

+

Y compris les concurrents et leurs mé¬ caniciens trente et une personnes + prenaient part effectivement à la course.

+

Mais chaque concurrent avait avec lui tout un personnel de monteurs, de méca¬ + niciens, qui était en moyenne d’une ving¬ taine de têtes par pays, ce qui + faisait deux cents hommes.

+

De plus, l’Aéro-Club avait délégué un jury assez important, des commissaires de + surveillance, sans parler des marins de l’équipage du bateau.

+

Des envoyés spéciaux des journaux du monde entier, avaient grossi le nombre des + concurrents et des ouvriers.

+

Bref, trois cent cinquante personnes au bas jmot, étaient venues peupler le + Spitz- berg.

+

Aussi, le3 baraques démontables rapide¬ ment installées sur la terre gelée + furent- elles presque insuffisantes, et l’on dut ren¬ voyer Y Aéro-Club français + avec mission de revenir en Norvège et d’y prendre d’au¬ tres matériaux.

+

Le départ de l’expédition — car en som¬ me cette course n’était-elle pas une + expé¬ dition ? — s’était fait au Havre, devant une foule enthousiaste.

+ + + +

Le gouvernement avait tenu à honorer de sa présence cette cérémonie, deux mi¬ + nistres se trouvaient là. Un régiment ren¬ dait les honneurs avec sa musique et + son drapeau.

+

Et lorsque Y Aéro-Club français, ayant détaché ses amarres, quitta le quai avec + un bruissement et une trépidation d’hé¬ lices, la musique joua la Marseillaise + et le drapeau s’inclina devant ces audacieux qui partaient courageusement, qui + se lan¬ çaient dans une aventure aussi redouta¬ ble et qui peut-être y + trouveraient la mort.

+

Il y eut à ce moment dans la foule, un seul frisson, les rivalités de race dis¬ + paraissaient, c’étaient des hommes qui al¬ laient au danger. C’étaient des + représen¬ tants de l’humanité, tous unis, tous frères qui tentaient l’impossible + avec la même ardeur, avec la même espérance.

+

Et chacun salua ce navire qui gagnait le large, lentement laissant derrière lui + un sillage qui s’effaçait, se fondait dans la mer, synthétisant à merveille + l’enthou¬ siasme des foules qui lui aussi bruissait et se faisait jour avec + éclat, mais qui s’atténuait presqu’aussitôt, se fanait, s'a¬ néantissait fa + vagüê perpétuelle des occupations journalières et des questions

+ + +

toujours renouvelées de brûlante actua¬ lité.

+

Le voyage jusqu’au Spitzberg avait paru à tous être une excursion, tant la gaîté + avait prédominé.

+

L’élément français avait tout de suite apporté la joie et l’entrain. De tout + cœur les 'délégués de VAéro-Club de France, désireux de distraire leurs + passagers, avaient organisé des concerts.

+

Le marquis de la Lande qui avait tenu à accompagner son jeune protégé, n’était + pas le moins ardent à s’amuser, infati¬ gable il organisait les distractions, + s’oc¬ cupait des isolée, mettait en valeur les timides, s’ingéniait de mille et + mille fa¬ çons à rendre la vie du bord agréable.

+

Sur ces trois cent cinquante personnes que VAéro-Çlub français transportait au + Spitzberg, se trouvaient bon nombre de femmes, tous les concurrents mariés n’a¬ + vaient pu se résoudre à se séparer de leur compagne et quelques unes étaient + là.

+

L’on juge avec quelle joie on les choy¬ ait, car le pays était maussadement lu¬ + gubre et la seule distraction permise était le travail, le travail forcené qui + fait ou¬ blier .

+

Le Spitzbqrg étgit un pays jjésplé,* sans végétation, où l’on trouvait à peine + quel-

+ + + +

ques oiseaux, d’une chair coriace.

+

Ce n’était évidemment pas un lieu de (villégiature et dès leur arrivée en ee + pays sinistre, les concurrents de la course Spitzberg-Pôle Nord, n’eurent plus + qu’une idée, mais bien ancrée dans leur esprit, fuir au plus vite ces + régions.

+

Le départ de la course devait être donné vers le milieu du printemps au moment + où tout l’hémisphère boréal jouit d’un jour presque continu d’une durée de six + mois »

+

Leâ conditions de ce départ étaient les suivantes : il ne serait donné que le + jour où tous les concurrents se déclareraient prêts à. partir.

+

Un accident arrivé à la machine d’un aviateur retarderait tout le monde. Ces + conditions étaient rédigées dans un grand esprit d’égalité.

+

Aéroville fut rapidement construit, cha¬ que aviateur disposait d’une baraque + pour lui et les siens, il avait en outre à sa dis¬ position un grand + atelier.

+

Tous ces baraquements étaient chauf¬ fés à outrance afin de permettre aux ou¬ + vriers de travailler. L’Aêro-Club français avait apporté des stocks de charbon + qui semblaient devoir être inusables et qui pourtant dûrent être + renouvelés-.

+ + + +

Le comité de direction et d’organisation s’était réservé une baraque, plu3 + grande que les autres où était disposée une salle de réunion assez va3te pour + contenir les personnes qui devaient faire partie de l’expédition.

+

C’est dans cette baraque qu’habitait le marquis de la Lande avec les autre3 mem¬ + bres de VAéro-Club.

+

Dès les premiers jours, une conférence fut organisée pour les concurrents.

+

Un scientifique éminent, M. Charly-Bois- sette, de l’Académie des sciences, + chargé de contrôler les observations faites pen¬ dant la course, avait annoncé + que durant les quelques semaines séparant les con¬ currents du jour définitif, + il ferait un cours sur le Pôle et les divers moyens d’y parvenir.

+

Ce cours était d'une invention heureuse, en effet quelques concurrents n’avaient + pas pris la précaution comme Pierre La- thon d’amener avec eux un homme de + sciences de la valeur de Lucien Golfech.

+

Il était donc nécessaire de bien éclai¬ rer chacun sur la question du Pôle et de + lui donner toutes les précisions nécessai¬ res pour ne susciter dans la suite + aucune contestation.

+

M. Oharly-Boiseette énuméra les diver-

+ + + +

ses observations qu’il faudrait faire, les résultats qu’il faudrait atteindre et + que lui contrôlerait, avec un soin et une mi¬ nutie extrêmes.

+

Les concurrents s’estimèrent satisfaits et se réjouirent de ces leçons qu’ils + al- laient recevoir régulièrement d’un des plus ; grands maîtres de la science + moderne*

+

Ces concurrent» nous l’avons dit étaient au nombre de dix, il sied que nous les + présentions à nos lecteurs.

+

Ceux-ci connaissent déjà notre ami et compatriote Pierre Lathon, son collabora¬ + teur scientifique le docteur Lucien Gol- fech et son mécanicien-valet de + chambre, Jacques Loniam.

+

De même nos lecteurs ont-ils eu l’avan¬ tage de voir déjà à Paris, .dans l’usine + du marquis de la Lande, le concurrent anglais, Johnson Faber, sa femme Katy et + sa fille Nelly. ’

+

Il nous reste huit concurrents à pré¬ senter ainsi que leur suite. Commençons + par l’Allemagne.

+

M. Nicolas Weiner était un homme d’une quarantaine d’années, très énergique, + d’un caractère loyal et capable de toutes les audaces, il ne devait amener avec + lui dans son, aéroplane, qu’un (compagnon : jun

+ + + +

jeune licencié ès-sciences de la faculté, de Cologne.

+

Ce dernier, Frans Hyde, paraissait un rêveur, toujours perdu dans ses pensées, + toujours absorbé par ses calculs, il était d'un physique sympathique et semblait + même ne pas posséder une santé merveil¬ leuse .

+

Le représentant de l’Italie s’appelait Laurent Taliani, il était vif, enjoué, + son¬ geait perpétuellement à dire une plaisan¬ terie mais était d’une volonté un + peu molle.

+

Son entourage était singulier, Laurent Taliani avait prévu quatre places dans + son aéroplane, il avait donc trois cama¬ rades /de route.

+

Deux mécaniciens lui avaient paru né¬ cessaires, la troisième personne était un + jeune médecin Claude Ranello qui, au pre¬ mier abord ne produisait pas une + impres¬ sion sympathique.

+

Les mécaniciens se nommaient l’un, Victor Ainoterellini, l’autre, Félix Gum- + berto. Tous deux avaient un regard fourbe qui déplaisait, ils exerçaient avec le + doc¬ teur une influence très grande sur Lau¬ rent Taliani, bon garçon, très + courageux, mais qui nous l’avons dit était un peu mou.

+ + + +

L’espagnol Alphonse Dicquez d'une jo¬ vialité exliubérante inspirait plutôt la + sympathie, il avait deux compagnons, Mi¬ guel Sebata, un de ses élèves en avia¬ + tion et sa femme Doiorès, originaire d’An¬ dalousie et dont le teint brun et les + yeux de flamme, déconcertaient dans le pays glacial. Miguel Sabata était d’un + naturel doux, Doiorès Dicquez était sujette à des emportements qui révélaient sa + race, mais elle adorait son mari Alphonse et manifes¬ tait à chaque instant son + attachement pour lui.

+

Le Portugal était représenté par Carlo Diboin jeune homme emporté, plus auda¬ + cieux qu’instruit des choses de l’aviation. Son compagnon était un vieil ouvrier + mé¬ canicien, Sébastien Buijo, plus au courant que lui certes, de la mécanique + et de ses lois.

+

Le concurrent autrichien se dénommait Wilhem Fürster, son appareil acheté en + France lui avait procuré en Autriche une renommée assez grande. Quelques modi¬ + fications apportées à sa machine, avaient fini (par lui laisser croire qu’il + l’avait entièrement construit du premier au der¬ nier écrou.

+

H amenait avec lui sa jeune femme Do¬ rothée, une blonde un peu fade, tous + deux

+ + + +

appartenant à la race des timides à qui des impulsions soudaines et passagères, + apportent de l'audace, paraissaient peu désireux de se créer des amitiés parmi + les habitants d’Aéroville.

+

La Russie.avait voulu se singulariser et elle y avait brillamment réussi, son + délégué n’était autre que le grand Duc Serge Fotropstoek. Grand seigneur, bon + vivant, exempt de toute morgue et qui tentait l'épreuve sans autre espoir que + celui de tuer le temps d’une façon plus intelligente que celle adoptée + d’habitude par lui.

+

Les trois hommes qui étaient avec lui appartenaient à sa maison, un mécanicien, + un valet de chambre, son secrétaire, ce dernier Félyne Daniloff ne parlait + jamais et se renfermait dans un mutisme profond.

+

Les Etats-Unis n’ayant pu décider les frères Wright à tenter l’épreuve, + n’avaient envoyé en désespoir de cause que deux aviateurs frères également, mais + d’un mé¬ rite plus que secondaire, le3 frères Jack et Joël Spithson, ils avaient + avec eux un mécanicien, une manière de brute avi¬ née qui se nommait Folter.

+

. Mais le dixième concurrent était de beaucoup le plus pittoresque, le Japon + était le pays .qu’il représentait, il s’ap-

+ + + +

pelait Nito, était marquis, et avait reçu de son gouvernement les encouragements + les plus considérables.

+

Son aéroplane, un composite de toutes les machines inventées jusqu’à ce jour, + pouvait contenir cinq personnes.

+

C’était un concurrent sérieux, car l’a¬ viation l’attirait comme une religion et + il s’y adonnait avec fanatisme.

+

Ses collaborateurs avaient comme lui le mépris de la mort et n’envisageaient + qu’une éventualité : le triomphe. Ils étaient tous quatre japonais, avaient + presque tous fait leurs études à Paris et doués d’une perspicacité et d’une + volonté peu ordinai¬ res, s’immisçaient partout et s’efforçaient d’apprendre, de + s’instruire à chaque se¬ conde, à chaque minute.

+

Tels étaient, très Sommairement dépeints, les concurrents de la course + Spitzberg- Pôle Nord. Tous n’avaient pas les mêmes mérites, certains + paraissaient devoir être écartés de toutes probabilités de réussite.

+

Les plus sérieux étaient à n’en pas dou¬ ter Pierre Lathon, Johnson Paber, l’an¬ + glais ; Nicolas Wainer, l’allemand ; Alphon¬ se Dicquez, l’espagnol; Nito, le + japonais.

+

Indépendamment de tout ce petit mon¬ de, nous avons dit qu’il se trouvait + plu-

+ + + +

sieurs membres de l’Aéro-Club et des jour¬ nalistes .

+

Les membres de l’Aéro-Club étaient: le marquis de la Lande; Jacques Laverniè- + re, président de la course ; Léonce de Jar- nitel ; Bernard Lauvergne ; Pierre + de San- ceyt de Peyroutas.

+

Les journalistes étaient une trentainè, envoyés de toutes les parties du monde, + ils se lamentaient, car ils étaient dans l’im¬ possibilité absolue d’adresser la + moindre correspondances à leurs journaux respec¬ tifs.

+

Ils vivaient dans une baraque spéciale, sur laquelle l’Aéro-Club avait fait + placer une pancarte portant ces mots d’une pré¬ tention volontairement comique : + Pavillon de la Presse.

+

Aéroville avait quatre rues, elles s’ap¬ pelaient : la rue Santos-Dumont, la rue + Colonel-Renard, la rue Capitaine-Ferber, la rue des Mille-Vents.

+

Cette dernière ainsi dénommée car il s’y engouffrait de tels courants d’air gla¬ + cé qu’on ne pouvait y séjourner, fut-ce même une seconde.

+

Rien ne manquait donc à Aéroville, ces quatre rues, se coupant à angles droits, + étaient chacune la branche d’une croix.

+

Les hangars-ateliers des aéroplanes n’ou*

+ + + +

vraient pas sur la rue, mais bien par der¬ rière où l’espace ne manquait + pas.

+

L’on ne pouvait se lasser d’admirer ce village surgi sur le roc glacé, de par la + volonté des hommes, si faible comparée aux forces brutales et mystérieuses de la + nature.

+

Il avait suffi d’une parole jetée dans un banquet où étaient réunis des gens + d’au¬ dace et d’énergie, il avait suffi d’un en¬ thousiasme provoqué par le beau + geste de l’Aéro-Club et du Gouvernement français... et maintenant, face aux + dangers inconnus, face aux bourrasques terribles et indomp¬ tables, Aéroville se + dressait. Aéroville qui narguait le Pôle Nord, Aéroville d’où les oiseaux de + toile et d’aluminium allaient s’envoler vers les contrées inexplorées.

+

Et cette solitude du Spitzberg prenait, à être ainsi considérée, un air + grandiose de champ de bataille. Oui, d’un champ de bataille moderne effrayant + par son vide et où l’ennemi bien dissimulé ne se mon¬ trait pas.

+

Aéroville, certes, valait alors une ca¬ pitale, c'était l’asile de la science + qui re¬ cueillait ses prosélytes avant de les lan¬ cer là. la conquête de + l’inconnu.

+ + +
+
+ V + HAINES ET SYMPATHIES +

Ah 1 l’on ne chômait guère à Aéroville, et les grèves et autres misères sociales + n’avaient point l’air d’y être connues.

+

A peine arrivés, les concurrents se mi¬ rent à l’ouvrage, les énormes caisses + ap¬ portées d’Europe et de toutes les parties du monde furent déballées.

+

Les biplans, les monoplans commencè¬ rent à se monter dans les hangars.

+

Jacques Lavernière, le président de la course, accompagné des membres de l’Aé- + ro-Club, visitait les ateliers .11 se faisait donner des explications sur les + différents mécanismes. Rien n’était plus curieux en effet que cette variété dans + les procédés et les constructions.

+

Le marquis de la Lande constatait tous les jours avec grand plaisir que l’aéro¬ + plane de Pierre Lathon était le seul logi¬ quement construit en vue d’une + randonnée polaire, et le teeui capable de supporter vail¬ lamment ce voyage + qu’il importait à tout prix d’exécuter d’unp seule traite.

+

L’aéroplane de Johnson Faber était éga¬ lement des plus curieux, il devait + certes

+ + + +

être capable des plus grands efforts et devait être un adversaire redoutable + pour le jeune français.

+

L’appareil de Nicolas Weiner était assez ingénieux, d’un modèle tout à fait nou¬ + veau, il demandait à être longuement ex¬ périmenté avant le départ + définitif.

+

Pierre Lathon, à Paris, avait fait mer¬ veille, le jour même où son « Pourquoi + pas ? » avait été prêt, il était sorti des usi¬ nes de Montrouge et avait pris + son vol.

+

Comme premier essai, il avait fait le tour de Paris en suivant les + fortifications, puis il s’était dirigé vers la place de l’O¬ péra, et les grands + boulevards acclamé par une population en délire, il avait suivi les .boulevards + de l’Opéra à la place de la République, de là était allé au-dessus de l’Elysée + où il avait eu l’honneur d’être admiré par le président Fallières, puis il avait + piqué droit sur la tour Eiffel qu’il avait contournée en se maintenant à une + centaine de mètres au-dessus d’elle; après quoi il était rentré à Montrouge, + ayant tout .le long du trajet éprouvé son appareil de maintes et maintes + manières.

+

La conclusion qui devait être tirée et qui fut tirée de ces exploits, fut que + Pierre Lathon possédait un véhicule aérien d’une souplesse et d’une endurance + stupéfiantes.

+ + +

Doucement Nelly tira Lathon par le bras (page 61).

+ + + +

Ce fut dans toute la presse un eoncert d'éloges, que ne parvinrent pas à sur¬ + monter les articles dithyrambiques consa¬ crés dans les journaux étrangers aux + essais de leurs compatriotes.

+

Pour tous les gens compétents, en Fran¬ ce, le seul adversaire sérieux de Pierre + Lathon était Johnson Faber, c’était, nous l’avons vu, l’avis de tous les membres + de l’expédition et du marquis de la Lande, en particulier.

+

Malgré cette rivalité qui allait donner lieu à une lutte sans précédents dans + les annales de l’aviation, Pierre Lathon et Johnson Faber étaient devenus deux + amis.

+

Ils éprouvaient le besoin de se voir plu¬ sieurs fois par jour, se rendaient + mutuel¬ lement visite 'dans leurs ateliers, discu¬ taient des problèmes de + mécanique, se pas¬ sionnaient pour les questions d’aèronaûti- que, échangeaient + leurs idées philosophi¬ ques.

+

Chose plus étonnante encore, 'les méca¬ niciens anglais et français + sympathisaient à qui mieux mieux, ils étaient rapidement arrivés à parler une + sorte de jargon mi- britannique, mi-argo-parisien qui était des plus + réjouissants.

+

Souvent Jacques Loniam s’offrait de lui- même pour rendre à mesdames Faber + de

+ + + +

ces services qu’on est en droit d’atten¬ dre que d'un domestique bien stylé.

+

On lui en était très reconnaissant et cette reconnaissance rejaillissait sur + Pierre Ijathon qui adorait la compagnie de ces dames et qui les voyait le plus + souvent possible.

+

Le soir venu, alors que la journée était finie et que dans les ateliers tout + bruit avait cessé, l’aviateur français revêtait l’é¬ pais manteau de fourrure + qui le protégeait des rigueurs du froid et il allait chez l’a¬ viateur + anglais.

+

Presque toujours il y dînait en compa¬ gnie de Lucien Golfech, même ils finirent + par mettre leurs provisions en commun et Jacques Loniam assura le service.

+

Assurément, au Spitzberg on ne pouvait trouver meilteur maître d’hôtel.

+

De temps à autre, Nicolas Weiner et son aide Frans Hyde prônaient place à cette + table familiale, mais ces deux hom¬ mes n’aimaient pas trop ces réunions.

+

C’étaient des travailleurs acharnés mais timides, ar/achés de leurs ateliers ils + ne songeaient qu’à y retourner ; assurément, ils n’avàiebt pas l’habitude du + monde et préféraient la solitude.

+

Le marquis de la Lande était invité sou-

+ + + +

vent, il aimait beaucoup la compagnie de ce rival anglais, si loyal, si + franc.

+

En dehors de ces personnages, les deux aviateurs ne s’étaient guère liés qu’avec + l’espagnol Alphonse Dicquez et sa femme Dolorès, gens sans arrière pensée et + d’un commerce agréable. Ils entretenaient aussi des relations de bonne amitié + avec le grand duc Serge Potropstock et voyaient quelque¬ fois, non sans + déplaisir, le japonais Nito.

+

En revanche, de véritables inimitiés, qui ne devaient pas tarder à se changer en + haines vivaces, éclatèrent dès le début, malgré la bonne volonté de Pierre La- + thon et de Johnson Faber.

+

Le concurrent italien, Laurent Taliani, volontiers attiré vers le français et + l’an¬ glais, s’était peu à. peu laissé influencer par son compatriote et + collaborateur le doc¬ teur Claude Ranello, puis par ses deux mé¬ caniciens + Victor Ainoterellini et Félix Gumberto.

+

Ces derniers, particulièrement, détes¬ taient le français, ils firent croire à + Clau¬ de Ranello que Lathon avait fait un pacte avec Faber et que les deux + hommes coa¬ liseraient leurs efforts pour gagner la course, ce qui leur + permettrait de partager le prix qui, ne l’oublions pas, était d’un million six + cent mille francs.

+ + + +

Claude Ranello se laissait lui aussi me¬ ner un peu par ses compagnons. Ceux-ci, + mentant effrontément et jaloux de la gloire du jeune français, racontèrent que + Jac¬ ques Loniam avait été aperçu rôdant autour de l’atelier de l’italien, dans + le but, sans doute, de surprendre des détails de l’aé¬ roplane Taliani.

+

Claude Banello, indigné, sans chercher à contrôler la véracité de ce fait, + avertit Laurent Taliani et le mit en garde contre des entreprises d’espionnage + possibles.

+

Lé jeune italien avait tout haut mani¬ festé son indignation et s’était bien + juré de ne jamais avoir de rapports avec le français/ Quand il le rencontrait + dans Aé- roville, il l’évitait et ne le saluait jamais.

+

Pierre Lathon s’en était bien aperçu, mais il avait mis cet incident sur le + compte de la jalousie et il n’y avait plus pensé.

+

Or, les ouvriers monteurs italiens avaient épousé la querelle de leur maître, + ils iii- jurièrent bientôt les ouvriers français et anglais, essayant + d’entraîner avec eux les allemands.

+

Mais ces derniers ne se laissèrent pas in¬ fluencer et demeurèrent neutres ; les + rus¬ ses étaient d’un calme que rien ne pouvait approcher, d'ailleurs peu + connaissaient un autre langage que le slave et pour cette

+ + + +

raison ne pouvaient s’entendre aveo leurs collègues étrangers.

+

C’était un curieux spectacle que celui d’Aéroville, véritable Tour de Babel où + toutes les langues, tous les idiomes s’en* trecroisaient.

+

Les ouvriers espagnols et les ouvriers portugais sympathisèrent tout de suite + étant presque du même pays. Les ouvriers américains, comme les russes, vivaient + à part, ne se mêlant aucunement à l'exis¬ tence des autres.

+

Les autrichiens fréquentaient quelque peu les allemands et leurs rapports + étaient sinon excellents, du moins empreints de bonne cordialité.

+

Quant aux japonais, nous avons, il nous semble, déjà indiqué quelle était leur + prin¬ cipale tendance: celle de se faufiler par¬ tout et d’entrer dans les + bonnes grâces de chacun.

+

On aurait dit qu’ils faisaient la chasse aux renseignements, et cette + supposition paraissait tellement justifiée que Jacques Lavernière, le président + de la course, dit un jour à Pierre Sanceÿt de Peyroutas, son camarade :

+

—- Je me demande, mon cher, si ces ouvriers japonais ne sont pas tous officiera + des plus instruits qui s’efforcent de s’em*

+ + + +

parer des derniers perfectionnements de l’aéronautique pour leur + gouvernement.

+

Ainsi, dès les premiers jours, quelques rivalités, minuscules d’abord, + s’établirent, quelques froissements se produisirent.

+

Les frères américains Jack etjaël Spith- 6on mirent à la porte de chez eux, + peut- être un peu brutalement, le concurrent ja¬ ponais Nito qui, décidément, + avait mani¬ festé à l’égard de leur appareil une cu¬ riosité par trop + grande.

+

Nito n’avait pas protesté avec bruit, com¬ me un latin n’eut pas manqué de le + faire, il se'contenta de s’éloigner en haussant les épaules.

+

Les femmes se fréquentaient entre elles, les dames Faber s’étaient liées + d’amitié avec Dolorès Dicquez et voyaient quelque¬ fois Dorothée Fürster, la + compagne de l’a¬ viateur autrichien.

+

A leur société se joignaient souvent deux jeunes femmes françaises, qui étaient + ve¬ nues au Spitzberg en qualité de journa¬ listes, Mathilde Dauvillars et + Antoinette Goudourville.

+

Elles étaient charmantes et connaissaient plusieurs langues, ce qui leur + permettait souvent de servir d’interprètes.

+

Après une journée de labeur, Pierre La-

+ + + +

thon trouvait auprès des dames Faber un repos moral qui le délassait.

+

Le docteur Lucien Golfech n'avait pas cru si bien pronostiquer à Paris, + lorsqu’il avait en riant déclaré à Pierre Lathon que Nelly Faber le regardait + avec sympa¬ thie .

+

La fille de l’aviateur anglais manifes¬ tait à Lathon une amitié cordiale et + fran¬ che.

+

Ce dernier se sentait tous les jours pris davantage par le charme qui émanait de + J’anglaise, il aimait les longues conver¬ sations qu’il tenait avec elle sur + toutes sortes de sujets.

+

Sujets littéraires, sujets sportifs ! Nelly pouvait causer avec facilité de tout + ce qui intéressait Pierre Lathon, elle con¬ naissait les meilleurs d’entre les + auteurs français, les classiques comme les moder¬ nes.

+

Elle avait admiré souvent Maupassant et elle ne parlait du grand écrivain qu’a¬ + vec un respect ému.

+

Le marquis de la Lande ne tarda pas à s’apercevoir de la tournure que prenaient + les événements:

+

— Hé 1 Hé ! mon cher Lathon, dit-il un jour. Vous ôtes venu au Spitzberg pour + conquérir le Pôle, mais je. crois que vous

+ + + +

avez commencé par conquérir un cœur!

+

Pierre Lathon sous l'allusion avait rougi, le marquis continua:

+

— A quoi bon, vous en défendre mon cher? Nelly Faber est une délicieuse en¬ + fant, pourquoi ne l’aimeriez-vous pas?

+

— Mais je ne l’aime pas ! se récria Pierre Lathon,

+

— C’est ce que je voudrais bien sa¬ voir 1

+

— Je vous assure l

+

— N’insistez pas, mon cher ami, l’a¬ mour est spontané ! Il se déclare en nous + subitement: quand on s’en aperçoit il y a longtemps qu’il s’est fait jour !

+

— Mais vous vous imaginez...

+

— Vous aimez Nelly Faber, voyons... ne venez pas me dire le contraire... vous ne + pouvez vous passer d’elle... vous la recherchez, vous lui consacrez tous vos + instants de repos...

+

— Mais...

+

— Oui! oui! mon beau jeune homme, on ne trompe pas un vieux malin comme moi!

+

Le marquis de la Lande s’éloigna en riant.

+

Et Pierre Lathon tout rêveur se de¬ manda à haute voix:

+

— Est-il bien exact que j’aime Nelly ?

+
+ +
+ VI + AMOUR ET JALOUSIE + +

Depuis ce Jour, Pierre Lathon s’étudia curieusement, jamais il n’avait soupçonné + jusqu’à présent qu’il pouvait aimer la jeune fille et être aimé d’elle.

+

-Il s’était simplement habitué à vivre près d’elle et il constatait une chose + in¬ déniable c’est qu’il ne pouvait plus se passer de sa compagnie.

+

Or, sur ces entrefaites, un événement singulier se produisit qui projeta dans + l’âme du jeune homme un peu de clarté, de joie, mais aussi de chagrin.

+

Un soir, il gagnait emmitouflé dans ses fourrures, la baraque de Johnson Paber + qui se trouvait rue du Colonel Bénard, lorsqu’il aperçut dans la demi-obscurité + de la rue, mal dissipée par des lanternes accrochées aux baraques, une + silhouette qui lui était familière. ,

+

A n'en pas douter, c’était Nelly Faber qui marchait à une vingtaine de pas de + lui à peine; il se disposait à accélérer sa marche pour rejoindre la jeune fille + qui venait probablement de rendre visite

+ + + +

à Dolorès Dicquez on à une autre de ses amies.

+

Soudain, comme elle passait devant la demeure de l'italien Laurent Taliani, + Pierre Lathon vit ce jeune homme sortir de l’om¬ bre et s’avahçer vers + Nelly.

+

Celle-ci eut un tel mouvement de sur¬ prise que Pierre Lathon, intrigué, se jeta + dans l’intervalle qui séparait deux bara¬ ques et de là, parfaitement dissimulé, + il observa.

+

Laurent Taliani dit d’une voix sourde que le français entendit parfaitement:

+

— Mademoiselle, je vèux vous parler l

+

Etonnée, Nelly Faber répliqua:

+

— Parlez donc Monsieur, je vous écoute, mais dépêchez-vous car il fait froid ici + et l’on est exposé à tous les vents...

+

— Entrez chez moi, Mademoiselle!

+

La jeune fille refusa net:

+

— Non Monsieur, mais encore une fois pouvez-vous me dire rapidement ce que vous + avez à m’annoncer...

+

— Mademoiselle, répondit Laurent Ta¬ liani d’un accent passionné, je veux vous + dire que je vous aime et que je ne peux me lasser de vous regarder...

+

Nelly eut un rire narquois:

+

—- C’est tout ce que vous aviez à me dire, c’est peu!

+ + + +

— Mais Mademoiselle...

+

— ’Eh bien. Monsieur, je consens à vous - répondre... vous m'aimez: à votre + aise, mais- vous feriez mieux de me dé¬ tester, car je ne vous aime pas et je ne + vous aimerai probablement jamais l

+

Laurent Taliani supplia :

+

— Mademoiselle, si vous saviez...

+

D’un ton sec, Nelly l’interrompit:

+

— C’est bon. Monsieur, je ne veux pas en entendre davantage 1

+

— Mademoiselle, par pitié...

+

Nelly sans plus écouter poursuivait sa marche, Laurent Taliani lui emboîta le + pas.

+

Pierre Lathon de sa cachette voyait tout, il sentit en lui une grande fureur + sourdre: il se précipita et lorsqu’il ar¬ riva à la hauteur de l’italien, il + s'écria:

+

— Voulez-vous vous taire, monsieur Ta¬ liani I

+

L’italien s’arrêta, et dardant sur Pierre Lathon un regard irrité, il + s’exclama:

+

— De quel droit vous mêlez-vous de mes affaires?

+

— Du droit qu’a tout galant homme de protéger une jeune fille qui ne de¬ mande + qu’à vous voir partir l

+

Les deux hommes étreints tous deux de la même émotion sauvage, se regar-

+ + + +

daient comme deux bêtes fauves sur le point de se battre.

+

Doucement, Nelly tira Lathon par le bras,en disant:

+

— Monsieur Pierre, venez donc... ve¬ nez donc !

+

A regrets, le français se laissa entraî¬ ner, l’instinct batailleur gaulois + venait de surgir en lui, il éprouvait le désir vio¬ lent de se colleter avec + l’italien.

+

Ce dernier proféra une injure, puis il eut un geste de menace et clama:

+

— Nous nous retrouverons !

+

Puis il rentra chez lui et ferma sa porte avec fracas.

+

Nelly tremblait fébrilement, Pierre La¬ thon encore tout énervé de cette alter¬ + cation lui dit:

+

— Comme vous êtes troublée, made¬ moiselle Nelly, ce fou vous a fait peurl

+

— Non 1 j’ai craint pour vous.*, j’ai redouté une rixe... une agression...

+

Et tout à coup la vérité se fit jour brutalement dans l’âme de Pierre Lathon : + oui il aimait Nelly, et il souffrait à pré¬ sent de penser qu’il n’était pas le + seul.

+

Les paroles de Laurent Taliani avaient éveillé en lui une jalousie des plus cru¬ + elles qui le peignait, le torturait atroce¬ ment.

+ + + +

Il ae se contint plus, il sentit qu’en cet instant il aurait l'audace nécessaire + pour avouer sa passion, il débuta:

+

— Mademoiselle Nelly, exeusez-moi, Je suis très troublé moi aussi. J*ai tout en¬ + tendu, les propos de cet italien m’ont bou¬ leversé I

+

Si l’obscurité n’avait pas plongé la fi¬ gure de Nelly dans l’ombre, Pierre + Lathon aurait pu voir une rougeur envahir les traits délicats de la jeune + fille.

+

— Monsieur Pierre I... murmura-t-elle d’une voix délicieusement musicale.

+

— Oui, mademoiselle Nelly, la jalousie m’a torturé en cette brève minute où cet + homme a osé vous dire...

+

Il hésita quelques secondes, puis acheva d’un seul trait:

+

— Vous dire ce que je pense, mademoi¬ selle Nelly, car je vous aime moi + aussi.

+

La jeune fille se taisait.

+

— Eh bien? murmura Lathon très an¬ goissé. Vous m’en voulez de vous tenir ce + langage? Pardon, mademoiselle Nelly! Pardon!... je ne vous parlerai plus de mon + amour... jamais... jamais!

+

Doucement, la jeune fille murmura dans un souffle à peine perceptible:

+

— Je .vous aime aussi, monsieur Pierre !

+
+ + +
+ VII + PREMIERS VOLS + +

L’époque de la course s’approchait, l’ac¬ tivité dans les ateliers devenait de + jour en jour plus fébrile et les aviateurs met¬ taient la dernière main à leurs + appareils.

+

Pierre Lathon et Johnson Faber avaient achevé le montage de leur aéroplane les + premiers.

+

Avant de faire des essais, ils tinrent à vérifier attentivement leurs moindres + piè¬ ces, leurs moteurs. Cet examen démontra que tout était en place et que rien + n’était ou ne paraissait défectueux.

+

Par un sentiment de coquetterie que des adversaires moins courtois ne compre¬ + naient pas, les deux aviateurs tinrent à faire leurs essais le même jour.

+

Les appareils furent sortis du hangar et amenés sur le même terrain. Le vent + était modéré, mais la température, quoi¬ qu’on fut au printemps, était + glaciale.

+

Les aides étaient assez embarrassés pour manier le monoplan de Pierre Lathon et + le biplan de Johnson Faber; en effet, le yent leur glaçait les mains et leurs + épais

+ + + +

vêtements de fourrure les gênaient dans leurs mouvements.

+

Pierre Lathon avait été bien avisé en apportant tout ses soins au chauffage de + la cabine où il devait prendre place avec. Lucien Golfech et Jacques Loniam, il + y faisait une chaleur modérée.

+

Johnson Faber, au contraire, avait ins¬ tallé un calorifère de fortune et dès le + premier jour, en dirigeant son aéroplane, il souffrit du froid, ce qui lui + enlevait plus d’un de ses moyens.

+

Tout Aéroville était là, chacun avait tenu à assister à ces premiers essais des + deux champions vraiment sérieux de la course, des favoris — eüt-on dit à Paris, + sur l’hippodrome de Longchamp ou d’Au- teuil.

+

Pierre Lathon fit une envolée magni¬ fique, du premier élan il gagna une hau¬ + teur de quatre cents mètres, hauteur à laquelle il se maintint. Puis, voyant que + son aéroplane était tel qu’il l’avait eu à Paris, bien en main, parfaitement + équi- bré, il se risqua à faire les tours de force les plus audacieux.

+

Il coupa l’allumage, descendit en vol pla¬ né jusqu’à cent mètres de terre, puis + fit marcher de nouveau le moteur et reprit le vol régulier, s’amusant a faire + des vira-

+ + + +

ges savants, à- boucler des boucles, des huit.

+

Johnson Faber était parvenu à se lan¬ cer, il voletait au-dessus de son ami La- + thon puis brusquement se glissait sous lui.

+

Dn aurait dit de gigantesques oiseaux jblancs se poursuivant à tire d’aile, le + spectacle était de toute beauté, on devinait que ces appareils étaient capables + de ran¬ données gigantesques.

+

On comprenait qu’ils pouvaient four¬ nir des efforts prodigieux, leur robustesse + bien visible les désignait à 1 attention de tous, comme ceux qui devaient être + les triomphateurs.

+

Et malgré les jalousies qu’ils éveillaient, malgré les espoirs qu’ils venaient + contra¬ rier par ces belles expériences, ils furent applaudis avec enthousiasme + et quelques hurrahs s’élevèrent.

+

Ce fut piquant de voir les deux concur¬ rents sortir de leurs machines, venir à + la rencontre l’un de l’autre et se serrer la main avec effusion en se + félicitant.

+

— Bravo, mon cher, s’écria Johnson Faber, vous êtes un pilote merveilleux I

+

— Que dois-je donc dire de vous ? ri¬ posta Pierre Lathon du tac au tac.

+

— Moi je suis transi de froid!

+ + +

66 visa ni fols sn aJsboflanb

+ +

Madame Faber arrivait avec Kelly.

+

Le français regarda la jeune fille amou¬ reusement, Il n’aVaifc pâs encore parlé + de ses projets à Faber. fi se tourna vers »<» fiànfcée et lUi demanda:

+

— Eh bien, mademoiselle Nelly, l’air du Spitzberg ne vous gèle pas trop?

+

Elle considéra Lathon d’un air affec¬ tueux et répondit :

+

— Je suis heureuse du succès de mon père, je ne fais pas attention à l’état de + la température.

+

Il l’attirait à part et lui disait à voix basse pendant que Faber causait avec + le marquis dé la Lande qui le félicitait:

+

— Nelly, il faut que nous parlions à vo9 parents de nos projets, je souffre trop + de ne pouvoir être tendre, avec vous de¬ vant tout le monde.

+

Elle le fixa un moment de ses yeux si expressifs, puis lui répondit :

+

— Eh bien Pierre, vous parlerez quand vous voudrez!

+

— Merci Nelly ! dit-il. Et il lui serra la main.

+

Comme il regardait autour de lui, il aperçut Laurent Taliaat entouré de son ami + le docteur Claude RaneUo et de ses dçiix • mécaniciens, Victor AitlotoralUni et + Félix ©Umberto,

+ + + + +

Il remarqua que l'aviateur Italien avait une mauvaise flamme dans les y eux.. 4 + il était jaloux sans doute et n’avait pas. dû renoncer à se faire aimer, de + Nelly*

+

— Pauvre garçon, pensa Pierre Lathori* Il est à plaindre.

+

Puis il donna des ordres à ses ouvriers et fit rentrer le .« Pourquoi pasl » + dans son hangar.

+

‘Johnson Faber expliquait quelques dé¬ tails de sa machine aux membres de + l’Àéro- Glul, qui l’écoutaient très intéressés*

+

Au premier plan se trouvait le japonais Nito, très attentif et cnerohant à + s’ins¬ truire comme d’habitude.

+

Pierre Lathon attendit patiemment la fin de cètte sorte de conférence en plein + air, puis il prit Johnson Faber par lè bras et lui dit :

+

— Monsieur Faber j’ai à vous entretenir d’un projet qui m’est très cher, voulez- + vous m’accompagner jusque Chez moi?

+

— Mais très volontiers mon amil... je vous suis.

+
+ +
+ VHI + BASSES VENGEANCES +

Johnson Faber était assurément l’homme le plus calme et le moins curieux de la + création.

+

L’intonation de voix de Pierro Lathon, son attitude gênée, embarrassée, tout + disait que le jeune homme n’était pas dans son état normal et qu’il -avait + quelque confi¬ dence à faire, ou bien des conseils à de¬ mander sur une grave + affaire.

+

Certainement Johnson Faber voyait cela, mais il n’en était pas le moins du monde + intrigué, il avait adopté un système de philosophie des plus pratiques.

+

Il avait coutume de dire: laissons les événements venir à nous, dans la vie tout + s’arrange, dès lors à quoi bon se faire du mauvais sang, à quoi bon ee + compliquer l’existence, se créer des ennuis pour en ar¬ river aux mêmes + résultats?

+

Devinait-il la proche arrivée de cruels soucis, il ne se désolait pas pour si + peu, il attendait et ne faisait pas comme tant de gens qui oubliaient le dicton + : « A chaque jour suffit sa peine ! » provoquant

+ + + +

en eux-mêmes d’atroces chagrins, par l’é¬ vocation de l’avenir.

+

Pour ces raisons, Johnson Faber évitait toujours de se « déprimer » moralement + en songeant à ce qui l’attendait. Aussi son esprit était-il libre et dispos, + dégagé de toute préoccupation importune.

+

Docile, il suivit son ami Pierre Lathon dans sa baraque et s’installa + confortable¬ ment au fond d’un fauteuil d’osier, avant que d'écouter.

+

— Cher monsieur Faber, commença Pierre Lathon, je vous ai fait venir ici, car ce + que j’ai à vous dire est très im¬ portant.

+

— Parlez, mon cher ami !

+

Le jeune français réfléchit quelques se¬ condes, chercha quelle transition il + pour¬ rait adopter pour dire le fond de sa pen¬ sée, puis se décida à tout + avouer bru¬ talement, sans précautions oratoires.

+

— Monsieur Faber j’aime votre fille et je vous demande sa main ?

+

L’anglais sourit puis regarda longuement Pierre Lathon.

+

— Hé t Hé 1 dit-il. Pas si bête ça, Nelly est adorablement gentille, elle est + digne do vous... que vous répondre, voyons ?

+

— Répondez-moi que vous m’accordez cette main que je vous demande?

+ + + +

li'anglais parut hésiter.

+

— Mais Kelly ? Vous aime-t-elle ?

+

— Oui, monsieur Paber.

+

— Vous le lui avez donc demandé ? Ah qu’ils font des cachotteries les amoureux ! + Mais mon ami, vous vous imaginez donc que je ne l'avais pas deviné?

+

— Voyez-vous un inconvénient à ce ma¬ riage ?

+

— Mais aucun mon cher garçon I Ah si, cependant 1 II reste bien entendu que nous + restons jusqu'au bout de l’épreuve deux concurrents et qu’en aucun cas l’un + d’entre nous ne pourra abandonner la lutte au profit de l’autre ?

+

— Mais...

+

— NonI Non! je vous refuse net la main de ma fille si vous ne consentez pas à + faire ce que je vous dis I Amis, oui 1 Concurrents loyaux jusqu’à la fin de + l’épreuve... Aucun doute à ce sujet n'est» pas?

+

— Aucun 1

+

— A merveille l

+

— Et que décidez-vous?

+

— Mais mon cher Lathon avez-vous jamais Réhsé que je pourrais vous refuser mon + enfant. Vous êtes un trop brave gar¬ çon, un trop honnête homme pour qu’on

+ + + +

se permette d'agir autrement. Vous serez mon gendre, à moins que...

+

— A moins que? répéta Pierre Lathon légèrement inquiet.

+

— A moins que vous ne trouviez la mort dans la course 1

+

— Oh monsieur Faber!

+

— Il faut penser à. tout.

+

— J’ai confiance dans mon appareil.

+

— Et moi dans le mien, mais ne som¬ mes-nous pas, vous et moi, à là merci + sauvage d’un accident de moteur, d’une tourmente qui nous fera capoter dans les + profondeurs sous-marines de quelque abî¬ me !

+

— Non, ne prévoyez pas cela!

+

— N’oubliez pas que Nelly voyage avec moi, qu’elle risque sa vie comme moi !

+

— Je le sais 1

+

Une expression attristée se peignait sur le visage du jeune homme, Johnson Fa- + ber le vit, il se leva et, tapant sur l’épaule de son ami, il lui dit:

+

— Allons ! Allons ! jeune homme, ne pensons plus à ça et venez avec moi... a là + maison. Si l’on peut désigner de ce nom familial cette bicoque en planches mal + jointes !

+

Pierre Lathon se laissa entraîner et quelques minutes plus tard, Katy Faber

+ + + +

apprenait la nouvelle et manifestait à l'a¬ viateur toute sa joie et toute sa + sympathie.

+

Le champion français était radieux, mais il semblait manquer quelque chose à son + bonheur, Johnson Faber s’en aperçut.

+

— 'Sommes-nous cruels I s’exclama-t-il. Nous laissons ce pauvre garçon sans sa + fiancée et il fait une tête. Rassurez-vous, monsieur, nous allons l’appeler, + mais je vous défends de dire un mot, laissez-moi le soin exclusif de parler... + chacun son tour, n’est-ce pas ?...

+

Il disparut et revint presque aussitôt suivi de Nelly ; la jeune fille comprit + que Pierre avait fait la demande.

+

D’un air mi-rieur, mi-sévère, Johnson commença :

+

— Eh bien, mademoiselle ma fille, c’est comme ça que vous faites des mystères, + c’est comme ça que vous cachez quelque chose à votre vieux bonhomme de père?

+

— Mais père...

+

— C’est bon mademoiselle, je suis fixé 1 Ces enfants 11 Ils viennent à peine de + naître qu’il leur faut dissimuler... Ah mon Dieu 11 C’est bien vrai qu’il n’y a + plus d'enfante !

+

— Petit père...

+

— Il n’y a pas de petit père qui tien¬ ne... tu es en faute l Ta mère et moi + t’a¬

+ + + +

vons toujours encouragée à dire la vérité et surtout à nous dire tout ce qui te + sur¬ venait... Or il me semble que tu n’as pas agi comme tu devais le faire + 1

+

« M. Pierre Lathon t’avait parlé de ses projets, tu devais nous en prévenir, + aussi...

+

Il s’arrêta pour produire mieux d’ef¬ fet. Le français, légèrement ému, ne put + s’empêcher de dire:

+

— Aussi ?

+

Johnson Faber se mit à rire bruyam¬ ment.

+

— Voyez-moi çal s’écria-t-il. Celui-là qui s’en mêle. Taisez-vous, monsieur l + Aus¬ si, mademoiselle Nelly Faber, j’ai décidé que vous n’épouseriez pas M. + Pierre La¬ thon.

+

Nelly pâlit, l’anglais s’empressa d’ajou¬ ter:

+

— Mais vous voyez bien grande folle que je plaisante. Embrasse-le va ton fian¬ + cé, tu en as la permission I

+

— Vrai ?

+

— Mais oui, mais ouil

+

Nelly eut un© exclamation joyeuse et s’avança vers Pierre qui lui ouvrit ses + bras.

+

Et ils s’étreignirent tendrement pendant que Johnson Faber plus ému qu’il ne + vou¬

+ + + +

lait le paraître, essuyait un pleur, du coin de son mouchoir.

+

Madame Faber venait de s’éclipser, èlle revint avec un samovar et commença à + confectionner un thé familial.

+

Une heure après, ils étaient tous là en train de savourer l’intimité de leur ré¬ + union, lorsque Jacques Loniam escorté du docteur Lucien Golfech apparut.

+

Ils avaient l’air tellement inquiets tous deux que Pierre Lathon se leva avec un + mauvais pressentiment qui lui poignait le cœur.

+

— Qu’est-ce qu’il y a? demanda-t-il.

+

— Ah monsieur I s’exclama Jacques. Il arrive quelque chose de fou, + d’insensé!

+

— Mais quoi donc?

+

— L’un des moteurs du « Pourquoi pas ? » est détérioré.

+

— Détérioré 1 dit Lathon avec un cri angoissé.

+

— Oui mon cher! fit à son tour Lu¬ cien Golfech. C’est incompréhensible, vous + m’en voyez moi-même tout bouleversé.

+

Nelly, son père et sa mère étaient en cet instant aussi émus que Lathon.

+

Le français prit la parole :

+

—■ Mais enfin, Jacques, expliquez-moi, vous aussi Golfech, je vous en prie.

+

Golfech expliqua :

+ + + +

— J’étais revenu avec Jacques dans l’atelier pour y graisser les moteurs et + vérifier ei l’expérience d’aujourd’hui ne les avait pas quelque peu abîmés... + nous ne remarquons rien de particulier, mais lorsque nous débrayons et que nous + es¬ sayons de mettre en marche le moteur de droite, il se refuse obstinément à + se mettre en mouvement et nous constatons, non sans douleur, qu’il est + brisé.

+

— Brisé î B’indigna Lathon. Mais c’est invraisemblable. Le marquis de la Lande + avait fait apporter tous ses soins à la construction des moteurs destinés au « + Pourquoi pas ? » Vous vous rappelez Gol- fech que j’en ài éliminé quatre avant + 'd’ar¬ river à choisir ceux que nous avons.

+

— Venez voir mon cher ami, reprit le docteur. Vous jugerez vous-même 1

+

Pierre Lathon remit son manteau et se coiffa de la toque de renard qui proté¬ + geait sa tête contre les rigueurs du froid.

+

Johnson Faber, sa femme et sa fille suivirent; la rue du Colonel Renard fut vite + franchie.

+

En passant devant la porte de Laurent Talîanî, Pierre Lathon aperçut l'italien + derrière les vitres de Ba fenêtre, il avait un regard narquois auquel l’aviateur + ne fit pas sur le moment attention.

+ + + +

Nelly fit la même remarque et ne put s’empêcher de frissonner en voyant le coup + d’œil méchant que lui lança celui qu’elle avait évincé.

+

L’atelier où était déposé le « Pourquoi pas ? » présentait un curieux + spectacle.

+

L’aéroplane était en effet entouré de presque tous les monteurs mécaniciens qui + avaient suivi le français au Spitzberg. Attirés par Jacques, ils examinaient la + machine et de sourdes rumeurs couraient.

+

A l’arrivée de Lathon, les ouvriers s’é¬ cartèrent pour lui livrer passage, puis + un concert de malédictions s’éleva...

+

— Qu'avez-vous ? demanda Pierre.

+

— Ah patron, fit un contremaître en tapant du pied rageusement. Cette brisure du + moteur, voyez-vous, ça n’est pas naturel 1

+

— Que voulez-vous dire ?

+

— Je veux dire qu’un bandit, qu’une canaille, qu’une fripouille a sans doute + pénétré dans cet atelier.

+

Pierre Lathon avait blêmi.

+

— Pensez-vous? s’exclama-t-il.

+

— Oui patron, il n’y a pas de doute I On a brisé le moteur et celui qui a commis + cet attentat connaissait son affaire! Le lâche i si je le tenais...

+

Les autres ouvriers donnaient libre cours à leur indignation :

+ + + +

— La crapule, disait l’un avec un ac¬ cent parigot très prononcé. Faudrait voir + qu’il dise un peu son nom !

+

— Oui, disait un autre, j'y casserais bien la margoulette !

+

— Et moi, ajoutait un troisième, je l’en¬ verrais au Pôle Nord de la belle + façon...

+

— Merci mes amis de la sympathie que vous me témoignez, déclara le jeune homme, + je saurai m’en souvenir, mais lais- sez-moi voir !

+

Le contremaître désigna une partie du moteur :

+

—- C’est là! dit-ii.

+

Pierre Lathon eut un cri de colère:

+

— Quel est donc le misérable qui a commis oefc acte indigne ?

+

Johnson Faber examinait à son tour, il hocha la tête :

+

— Mon cher, dit-il, c’est évidemment regrettable, mais c’est facile à + réparer.

+

— Vous croyez?

+

— J’en suis sûr ! Si celui qui a fait cette abomination avait brisé un peu plus + haut, c’était irrémédiable, mais je suis certain qu’il n’y a rien de perdu. Je + me fais fort moi-même d’arranger la chose.

+

— Vous me mettez du baume au cœur, répondit Pierre Lathon.

+

Nelly qui venait de se baisser et de

+ + + +

ramasser im Objet sur te. sel, le tendit à son fiancé.

+

Il eut un tressaillement de tout non être. .

+

— L'italien 1 murmura-t-il à mi-voix en serrant les poings de rage.

+

— 8erait-ce le Talteni ? gronda le con¬ tremaître en roulant des yeux terribles; + il avait entendu la phrase du jeune fran¬ çais.

+

Ce dernier se ressaisit et protesta:

+

— Mais non, mais non ! Vous êtes fou 1 Qui vous a dit cela? :

+

— J’avais cru entendre?

+

— Vous vous trompez I

+

Le contremaître haussa les épaules et voulut montrer qu'il n'était pas dupe + :

+

— C’est bon, patron ! On a rorellle fine 1 Si vous avez des raisons pour VOUS + taire, moi je n'en ai pas pour être plus bête qu'un autre. On veillera au grain, + pour sûr ! Et on ouvrira l’œil... le bon 1

+

ï)e nouveau Pierre Lathon regardait l’objet que lui avait remis Nelly, c'était + un bouton de manchette en acier, mais adorné d'une monture d'émail.

+

Et cette monture qui avait été pour le jeune homme comme pour la jeune fille une + révélation, c'était une réduction du drapeau italien,

+ + + +

Mais fallait-il pour cela soupçonner Lau¬ rent £Taliani ? fallait-il le croire, + capable de cette monstruosité?

+

Le jeune homme demeurait perplexe. Il était trop, loyal lui-même, pour soup¬ + çonner les autres de telles perfidies et il ne pouvait se résoudre à, + accuser.

+

C’était pour cela qu’il avait essayé de donner le change au contremaître, qu’il + savait très entêté et très violent; d’ail¬ leurs il redoutait la fougue de tous + ses mécaniciens qui étaient de braves gar¬ çons, capables, pour venger leur + patron, leur idole, de se livrer aux pires repré¬ sailles.

+

Et cependant, tout ne semblait-il pas convaincre l’italien d’avoir commis cet + attentat? A présent Pierre Lathon se rap¬ pelait le regard qu’il lui avait lancé + quel¬ ques minutes auparavant, et il doutait, se méfiant un peu de lui-même, car + il détestait Laurent Taliani depuis qu’il avait en lui un rival amoureux.

+

Etrange situation dans laquelle il se trouvait. S’il n’avait pas aimé Nelly il + eut joui de toute sa liberté d'esprit, pour accuser l’Italien et pour voir + attentivement si ce dernier était coupable ou innocent.

+

Mais, en présence de l’attentat odieux dont venait d’être victime son « + Pour-

+ + + +

I

+ +

quoi pas? », cette merveille scientifique, il tremblait de tous ses membres, + anéanti moralement, écœuré.

+

Johnson Faber le consola:

+

— Eh bien, voyons, ne vous laissez pas abattre comme ça! Puisque je vous affirme + qu’il n’y a rien d'irréparable. Al¬ lons, ^allons, mon cher amil

+

Nelly s’approcha de lui et lui dit à l’o¬ reille :

+

— H n’y a pas de doute Pierre, c’est Ta- liani ou bien l’un des siens qui a + commis ce crime I

+

Cette fois le contremaître avait bien entendu, il eut un rugissement de triom¬ + phe :

+

— Ah 1 ah 1 patron ! je ne suis tout de même pas sourd. Vous avez raison ma + petite demoiselle. Ça ne peut être que ce macaroni de malheur !

+

Au même instant un homme pénétra dans l’atelier, c’était le mécanicien de + Johnson Faber.

+

— Que veux-tu? lui demanda l’anglais.

+

— Maître, répondit l’autre d’un accent embarrassé. Il vient d’arriver un + accident à votre moteur.

+

— Malédiction 1 jura Paber.

+

— Dû certainement à la malveillance 1 ajouta l’homme en baissant la voûç.

+ + +

À mort, Taliani ! À mort les macaronis (page 87).

+ + + +

La eogtreBtôltre de Lâthbn eut une; ex* elamatiôn farouche :

+

— Ce sont les macaronis I Parbleu ! nous aurons leur peaul

+

Les ouvriers s'ameutèrent.

+

— Oui ! à mort ! à mort I Mort à tous les macaronis! oriait-on de tous + côtés.

+

Sur ces entrefaites, le marquis de la Lande entra dans l'atelier;

+

— Que se passe-t-il donc, mes chers amis? dit-il.

+

En quelques mots on le mit au courant des événements qui venaient de se dé¬ + rouler .

+

Il s'efforça de calmer les ouvriers par un langage raisonné et sa conclusion fut + celle-ci :

+

— Mes chers amis, il ne faut pas dis¬ créditer le nom français !

+

« Il ne faut pas que ce nom soit sy¬ nonyme de désordre et violence. Du cal¬ me + je vous en prie, du calme 1 Vous me ferez de la peine si vous vous portez aux + pires extrémités. Laissez-nous faire, nous trouverons les coupables et peut-être + à ce moment, mais à ce moment seulement, noms vous lfé abandonnerons.

+

Üne formidable clameur retentit;

+

— Vive le marquis!

+ + +

!

+ +

vms i»a wm m

+
+ +
+ IX + LA RÉVOLUTION A AÉROVILLE +

'Johnson Fabêr était à présent double¬ ment ému. L’arrivée de sou mécanicien + l'avait bouleversé. Hô quoi, l’ennemi mys- tériêbt Se Pierre Lathon s’était donc + éga¬ lement attaqué à lui.

+

Dans quel but cynique, inavouable ? L’a¬ viateur anglais que consolaient à + présent Katy sa femme et Nelly, s’achemina vers la rue du Colonel Bénard, + accompagné COtte fois de Pierre Lathon et de Lucien Golfecb.

+

Jacques Loniam était 'demeuré avec les ouvriers français avec qui il tenait d’a- + niméâ co&ciliabules.

+

Il fallait bien voir en effet la mal¬ veillance dans l’accident survenu au mo¬ + teur de l’aéroplane anglais. Après un exa¬ men même superficiel, on ne pouvait + con¬ server de doute à. ce sujet.

+

De même que pour le « Pourquoi pas ? * l’on avait procédé par brisure, mais l’on + avait été moins heureux pour l'aéroplane Faber que pour celui de Pierre Lathon, + et la dégradation était très facilement ré¬ parable,

+ + + +

i

+ +

Nelly inspectait le sol tout autour de l’aé¬ roplane comme pour y découvrir des + tra¬ ces, mais elle ne trouva rien.

+

Johnson Faber interpella Pierre Lathon.

+

— Y comprenez-vous quelque chose ? De¬ vinez-vous quel peut être le + misérable?

+

— J’ai des soupçons 1 murmura le fran¬ çais, mais si bas que les ouvriers + anglais qui les entouraient ne purent entendre.

+

. — Quels soupçons? insista Faber vi¬ vement intrigué.

+

— Des soupçons ! fit Pierre Lathon énig¬ matique .

+

— Sur qui?

+

— Je vous le dirai, ailleurs et dans un autre moment.

+

Johnson Faber insista:

+

— Je vous en prie, mon cher ami, ne me laissez pas dans cette angoisse. Et + dites-moi au moins le nom de mes enne¬ mis ! Comment voulez-vous que je me dé¬ + fende si je ne les connais pas?

+

Pierre Lathon pour toute réponse mit un doigt sur sa bouche, et recommanda le + silence.

+

En effet les mécaniciens anglais s’ef¬ forçaient d’entendre leur conversation et + se rapprochaient d’eux.

+

Au bout de quelques secondes Pierre La¬ thon reprit j

+ + + +

— Nous parlerons de tout ceci plus tard quand nous serons seuls !

+

Johnson Faber serra les poings et s’ex¬ clama :

+

— Oh ! les gredins I quelle étrange ma¬ nière de comprendre la rivalité N’est-il + pas plus beau de s’incliner devant la com¬ pétence et la science d’un + concurrent, et de désirer le vaincre tout en le respec¬ tant ?

+

— Evidemment, mais tous les esprits ne sont pas d’une loyauté semblable à la + vôtre.

+

— Si je tenais ces bandits, je les tue¬ rais ! déclara l’anglais.

+

Et l’un des mécaniciens, pour bien mon¬ trer qu’il partageait tout à fait + l’opinion de son patron, dit en ricanant:

+

— Yes, je voudrais le avoir ce gentle¬ men, je casserais le moteur à lui.

+

Malgré toute la peine qu’il avait, Pierre Lathon ne put s’empêcher de rire.

+

— Tiens I remarqua :t-il, voilà une ex¬ pression qui ferait fureur à Paris, je + vais la lancer à mon retour. J’entends d’ici un voyou parisien dire d’un ton + traînard : « Mon vieux, je vas te casser le mo¬ teur 1 » Le voilà bien le + langage imagé I

+

Puis il ajouta à voix basse pour John¬ son Faber:

+ + + +

— Vous voyez, vos ouvriers nous écou¬ tent: plus un mot de cette affaire, dou¬ + bliez pas une chose, c'est que noué avons intérêt à être les seuls justiciers. + Ne mê¬ lons pas à cela ces braves gens, beaucoup trop violents et dont le manque + de pondé¬ ration pourrait nous faire grand tort.

+

Il achevait à peine ces mots qu'un va¬ carme effroyable se produisit au + dehors.

+

Pierre Lathon se précipita dans la pièce qui donnait sur la rue du + Colonel-Renard, il leva les bras au ciel, saisit son man¬ teau qui traînait par + terre et sortit.

+

Johnson Faber, sa femme, sa fille et Lucien Golfech le suivirent après s’être + vêtus en hâte.

+

La rue présentait une vive animation, on se serait cru au sortir d’une réunion + pu¬ blique parisienne.

+

En tête d’un fôrt groupement d'hom¬ mes, une quarantaine, environ, d'anglais et + de français, marchait affairé et important Jacques loniâm.

+

Il dirigeait tout ce petit monde qui cri¬ ait, qui hurlait à l’adresse de + Laurent Talianl et de ses collaborateurs des me¬ naces de mort.

+

Les ouvriers paraissaient très surex¬ cités et brandissaient qui des revolvers, + qui des leviers, qui des bâtons.

+ + + +

Dans le fond de la rue l’on voyait le marquis de la Lande, accompagiïè de Pierre + Sanceyt de Peyroutas et de deux autres membres de l'Aéro-Club, qui arrivait au + pas de course.

+

Une clameur soudain se déchaîna, cla¬ meur de haine, clameur lugubre:

+

— A mort Taliahi ! A mort les maca* ronis 1

+

Ce mot « macaroni » semblait d’ailleurs dans la bouche des ouvriers français et + anglais, une injure terrible ; ils tendaient leurs armes vers la baraque où + l’italien habitait ainsi que ses aides.

+

Pierre Lafchon s’avança au devant de son valet de chambre et d’un ton auto¬ + ritaire lui dit:

+

— Que faites-vous là, Jacques ? Voulez - vous vous en aller et faire rentrer + dans leur baraque tous vos camarades!

+

Jacques se redressa fièrement:

+

— Que monsieur m’excuse 1 répondit-il. Mais je ne peux obéir à monsieur, on a + fait un affront sanglant à la France et à l’Angleterre, cet affront sera + vengé.

+

— Jacques, je vous donne l’ordre de partir tout de suite 1

+

— Je Je regrette beaucoup monsieur, mais te ne peux partir!

+

— Tant pis, laissons-les faire! dit La-

+ + + +

thon à Faber qui s’inquiétait. Nous n’a¬ vons qu’à ne pas nous mêler de leur + que¬ relle, il ne faut pas qu’on nous juge être à leur tête.

+

Le marquis de la Lande arrivait à hau¬ teur des ouvriers ; comme l’aviateur + fran¬ çais, il s’efforça — mais en vain — de calmer les manifestants.

+

Ceux-ci montraient qu’ils ne se laisse¬ raient désormais entraver par rien ; ils + se ruaient sur la baraque italienne et déjà avaient à moitié défoncé la porte + donnant sur la rue.

+

Tout à coup, les évènements se cor¬ sèrent, les ouvriers italiens, conduits par + le mécanicien Victor Ainoterellini, firent irruption sur la droite des français + et des anglais.

+

La mêlée devint rapidement sanglante, les adversaires satisfaisaient pleinement + toutes leurs rancunes. Ils étaient même tellement rapprochés les uns des autres + qu’ils no pouvaient faire usage de leurs armes.

+

Et ils se battirent à coups de poings, à coups de pieds.

+

Jacques Loniam faisait des prodiges, il avait déjà mis hors de combat trois ita¬ + liens et il se disposait à en attaquer un quatrième, lorsqu’il se sentit + brutalement

+ + + +

saisi par les épaules et tiré en arrière.

+

Une troupe nombreuse d’ouvriers de tous les pays venait en effet de faire son + ap¬ parition sur le théâtre de l’émeute.

+

Les divers concurrents étrangers s’é¬ taient mêlés à elle. En un clin d'œil tous + les combattants furent désarmés et soi¬ gneusement séparés en deux camps.

+

Tous les membres du comité directeur de la course étaient là. Ce fut pour Jac¬ + ques Lavernière, le président, l’occasion de prononcer un discours.

+

— Mes amis, dit-il, ce que vous faites là est honteux. Hé quoi, vous donneriez + raison à ceux qui disent que les hommes sont semblables aux bêtes féroces et ne + demandent qu’à se manger entre eux. Si vous avez des querelles à régler, si vous + avez des différents, soumettez-les nous I Il faut avoir confiance en nous ! Nous + donnerons raison à ceux qui ont raison et tort à ceux qui ont tort.

+

Un nouveau murmure de haine courut dans les rangs des ouvriers français.

+

Jacques Lavernière mit les poings sur les hanches ot familièrement, comme s’il + parlait à des enfants indisciplinés, il re¬ prit :

+

— Quelle férocité l Vous mériteriez tous la même punition et tous ceux qui + sont

+ + +

T

+ +

§Q vsins &s folu air aéroplane

+ +

ici et gui ne partagent pas votre que- retje, pensent comme moi I

+

« Oui, vous mériteriez d’être réexpé¬ diés dans vos pays respectifs.

+

« Vous entendez messieurs les italiens, messieurs les anglais et vous surtout + mes¬ sieurs les français!

+

« Ah ! laissez-moi vous dire combien je suis peiné de voir des enfants de la + France jeter le trouble dans* la cité scien¬ tifique qu’est Aéroville!

+

• Ici nous n'avons pas de gendarmes ! nous n’en voulons pas ! les gendarmes sont + pour les voleurs, pour les malhonnêtes gens, donc, ils n’auraient rien à faire + ici !

+

« Que le but qui vous a tous amenés ici, vous préoccupe seul ! Je ne Veux plus + entendre parler d'une émeute de ce genre 1 Ces sentiments de mauvaise rivalité + sont odieux.

+

« Il n’y a pas d’ennemis ici ! nous som¬ mes tous frères et nous poursuivons + tous le même but. Qu’il y ait entre vous. Une noble émulation, soit, mais + c'jssfc tout ce que nous pouvons tolérer. Est-eé bien*com-

+

^ tous se taisaient, la discours de Jac¬ ques Lavernière, avait paru + impressionner les ouvriers, mais il n’était pas difficile

+

de se rendre compte qu’ils gardaient tous,

+

. 1 \

+ + + + +

leurs sentiments d’animosité et que les paroles du président ne les avait nulle¬ + ment calmés.

+

A la grande stupéfaction de Lathon, Jacques Loniam, secouant la poigne bru¬ tale + qui le retenait, s’avança vers Jac¬ ques Lavernière.

+

— Monsieur, lui dit-il, tout ce que vous venez de dire est très noble et nous a + touchés. Mais vous ignorez peut-être quelle est cette querelle qui nous + partage.

+

— Je ne veux pas la savoir ! protesta Jacques Lavernière. Il est honteux d’en + venir aux mains 1 Sommes-nous aux temps barbares où les hommes s’entregorgeaient + pour les motifs les plus futiles? .

+

Loniam, très excité, poursuivit :

+

— Nos motifs ne sont pas futiles! Ces italiens de malheur ont tenté de détruire + les aéroplanes du concurrent français et du concurrent anglais !

+

Jacques Loniam se taisait, il savourait à présent la volupté qu’il ressentait de + voir chacun stupéfié par cette nouvelle.

+

Laurent Taliani s’avança, suivi de Claude ïtanelio, il jeta un coup d’œil + méprisant à Pierre Lathon et parla ainsi:

+

— Cet homme ment effrontément! Ja¬ mais aucun des miens n’a commis l’acte qui + vient de nous être reproché. J’ignore

+ + + +

encore pour ma part, le motif réel de l'agression dont ma maison vient d’être + victime.

+

Son accent avait un tel air de sincé¬ rité que tous ceux qui étaient présent, + rinnbcfeütèrênt immédiatement dans leur pensée.

+

Mais Claude Ranello voulut confirmer cette impression qui se devinait profon¬ + dément ancrée dans l'esprit des assistants.

+

Mal lui en prit, ses airs hypocrites, ses regards sournois, lui aliénèrent la + sympa¬ thie de toutes les personnes présentes, à commencer par Jacques + Lavernière.

+

— Ces fous, dit-il, nous prêtent les sen¬ timent» qu'ils ont eux-mêmes. Il faut + se méfier d'eux, on les voit rôdailler autour' de nos ateliers... dans un but + facile à comprendre.

+

Pierre Latium, indigné et vibrant d’é¬ motion, s'avança :

+

— Vous en avez menti, docteur Claude Ranello ! je vous mets au défi de prouver + ce que vous dites 1

+

Claude Ranello toisa le jeune français et, résolu sans doute à tout risquer pour + tenter de le disqualifier, il affirma:

+

— Je peux en tout cas dire ce que j'ai vu moi-même !

+

— jQu‘avez-vous vu?

+ + + +

— Je ne le dirai que quand je. le vou¬ drai 1

+

— Non ! vous devez parler puisque vous tenez un tel langage, je fais appel à la} + loyauté de tout le monde pour forcer le docteur Claude Ranello à bien spécifier + ce qu’il a vu, en quel lieu, quel jour et à quelle heure?

+

L’italien gardait le silence, se conten¬ tant do hausser les épaules, toujours + avec ce même air méprisant, qu’il savait si bien prendre.

+

Le marquis de la Lande s’écria:

+

— Il doit parler 5 Ses insinuations l’y obligent !

+

Jacques Lavernière ordonna :

+

— Parlez sur-le-champ, monsieur, je n’admets pas une semblable attitude.

+

Claude Ranello ricana puis, décidé à tout il déclara :

+

— J’ai vu moi-même, monsieur Pierre Lathon rôder autour de l’atelier de Laurent + Taliani et venir essayer d’y pénétrer.

+

Le fiancé de Nelly bondit sous l’outrage : — Sur la vie de mon père et de ma + mère, je jure que cét homme ment, ment avec une effronterie de bandit!

+

Jacques Lavernière s’interposa, car le jeune avjatetuf 6tait menaçant ef,Ton de¬ + vinait que son intention était dè saisir le

+ + + +

- %

+ +

médecin italien au collet et de le brutaliser.

+

— La vérité n’est toujours pas bonne à entendre dire I déclara de nouveau Clau¬ + de Ranello.

+

C’était trop, le français s’élança, il sai¬ sit le poignet droit du médecin, + l’empri¬ sonna de ses mains nerveuses et s’ex¬ clama :

+

— Misérable!... Canaille! Taisez-vous eu je vous écrase!... Regardez le poignet + de cet homme, monsieur Lavernière !

+

Claude Ranello tout en faisant de vains efforts pour se dégager s’exclamait:

+

— Lâchez-moi 1

+

Pierre Lathon poursuivit avec la voix tonnante d’un accusateur:

+

— Regardez ! mais regardez donc tous le bouton qui est à sa manchette !

+

Ranello vociféra :

+

— Vous êtes fou l

+

— Ce bouton, continuait Lathon, Pa¬ vez-vous bien vu, monsieur Lavernière? + l’avez-vous bien remarqué!

+

— Oui! répondit le président intrigué, mais que signifie?

+

Pierre Lathon abandonna le poignet'de l’italien, puis fouillant dans une de ses + poches, il en tira le bouton ramassé par •Nelly: le bouton d’émail aux couleurs + ita¬ liennes.

+ +

il-

+ + + +

— Tenez, monsieur Laveraière, .voyez si ce bouton n'est pas le pendant de celui + que vous venez d’examiner.

+

— En effet! convint le président.

+

— Et maintenant regardez encore!

+

Le jeune homme saisît vivement lé poi¬ gnet gauche de l’italien et malgïé ses + protestations l’éleva à hauteur des yeux de Jacques Laveraière, du marquis de la + Lande et de tous ceux qui s’étaient ap¬ prochés .

+

— Vous voyez que la manchette de gau¬ che est vide de son bouton, vous le cons¬ + tatez tous sans peine. Or moi je prouve ce que j’avance, je ne suis pas comme + mon¬ sieur.

+

« S’il est faux que j’aie rôdé autour dé râtelier Taliani, avec l’intention et + le pro¬ jet d’y pénétrer, il est par contre exact que le docteur Claude Banello + que voici est entré dans mon atelier et a tenté 'd’anéan¬ tir l*un des moteurs + de mon aéroplane 1

+

Claude Banello pâlit.

+

— C’est faux 1 proteçta-t-il.

+

— C’est exact, monsieur l Et la preuve la voici 1 C’est cè bouton de manchette + qui vous manque et qu’on a ramassé déVant témoins dans mon atelier...

+

— u’est faux! répéta l’italien.

+

Quelle machination infernale ! déclara

+ + + +

Laurent Taliani qui, de très bonne foi, croyait son collaborateur innocent de + l’acte .dont on l’accusait.

+

De nouveaux cris s’élevèrent, les ou¬ vriers français et anglais s’agitaient, + des ouvriers étrangers prenaient fait et cause pour eux.

+

Jacques Lavernière prit la parole:

+

— Messieurs, en présence de ce qui vient de se passer, je constitue un tri¬ + bunal d’honneur devant qui vont compa¬ raître MM. Lathon, Taliani, Faber, Ba- + nello et tous ceux qui ont été mêlés à cette affaire. Ce tribunal comprendra + deux membres de chaque nationalité qui vont être tirés au sort. Mais je vous en + supplie, n’ensanglantez pas Aéroville. Et que le bruit d’incidents scandaleux et + regretta¬ bles n’arrive pas en Europe! Messieurs, mes amis, mes camarades, je + compte sur vous 1... Dans une heure le tribunal d’hon¬ neur sera constitué et ce + soir son verdict sera rendu. Quel qu’il soit nous nous in¬ clinerons tous devant + lui!

+

Jacques Lavernière prit par le bras le marquis de la Lande et s’éloigna.

+

I«es ouvriers, français, anglais et alle¬ mands d’un côté, italiens de l’autre, + se regardèrent avec des yeux chargés de

+ +

f

+ + + +

Mais heureusement, les russes, les au¬ trichiens, les espagnols et les + américains veillaient, ils empêchèrent le retour des incidents qui avaient amené + les scènes que nous venons de raconter. Peu à peu la rue du Colonel-Renard + devint déserte comme d’habitude, chacun était rentré chez lui. Et Aéroville + reprit son aspect tran¬ quille qui avait été troublé pendant une bonne heure, + par une véritable émeute révolutionnaire.

+
+
+ + X + + JUSTICE I + +

Jacques Lavernière était un homme éner¬ gique. Quand il voulait quelque chose, ü + le voulait bien et arrivait toujours à la réalisation de ses désirs.

+

L’attentat commis sur les aéroplanes lui parut abominable et il jugea que son + au¬ teur ne pouvait demeurer plus longtemps à Aéroville où il constituait un + danger permanent pour tout le monde.

+ + +

Ge tribunal, composé dans les conditions indiquées par Jacques Laverdière, nomma + pour président Nicolas Weiner, lé c^téor* rent allemand.

+

Lés membres dé l’Aêro-Clüb dssistàiént à la délibération. L’on entendit d’àbord + toutes les personnes en cause et s’il apparut tout de suite que Laurent Taliani + n’était coupable que de légèreté et de vive ja¬ lousie, il sembla par contre + infiniment probable aux juges que Claude Banello était bien l’auteur des deux + attentats.

+

Pierre Lathon était tellement connu par sa droiture d’esprit et par sa loyauté + qu’il était fou de l’accuser d’imposture.

+

Avant toutes choses, d’ailleurs, le jeune homme tint à raconter aux juges quelle + rivalité avait dès le début du séjour à Aérovillè, séparé les ouvriers français + et italiens.

+

Puis il expliqua que Taliani avait trou¬ vé en lui lin rival soucieux uniquement + de noble émulation, au lieu que Taliani n’avait jamais consenti à lë saluer, + laissant percer une jalousie évidente et stupide.

+

, Nelly fut plus catégorique, Pierre La¬ thon avait négligé d’accuser Laurent + Ta¬ liani et de raconter la scène violente qui s’était déroulée entre les deux + jeunes gens.

+ + + +

Nelly s’empressa de révéler ce détail au tribunal d’honneur.

+

Il apparut alors âpres l’audition de Ta- liani que ce dernier détèstait Pierre + La- thon et qu’il était pleinement sous l’in¬ fluence de son entourage.

+

Or, il apparut également que cet entou¬ rage était nettement hostile à + l’aviateur français.

+

Nicolas Weiner, soucieux de faire ressor¬ tir les moindres côtés de cette + affaire, sut interroger avec habileté Claude Kanel- lo, Victor Ainotorellini et + Félix Gumberto. Entendus séparément, ils apportèrent de piquants renseignements + à l’enquête. Et bientôt, grâce à Alphonse Dicquez et à Nicolas Weiner, la vérité + éclata.

+

Aucun doute ne restait, Claude Kaneïlo, aidé des deux mécaniciens italiens, + avait tènté de détruire les deux aéroplanes.

+

Incident comique, chacun de ces trois personnages accusé d’avoir commis l’acte + délictueux, se défendait de telle façon qu’il laissait tout supposer en ce qui + concer¬ nait les deux autres.

+

Enfin, on les fit venir tous les trois et le tribunal leur annonça :

+

— Le tribunal est suffisamment édifié, il h’entend pas vous dénoncer à la + justice

+ + + +

de votre pays ou tirer de vous une veû- gence éclatante. Non !

+

« Vous allez être expulsés du Spitzberg et VAéro-Club français va vous ramener + en Europe 1

+

« Quant à M. Laurent Taliani, le tri¬ bunal le lave de tout soupçon déshonorant. + Il n’était pour rien dans les deux attentats.

+

L’aviateur italien se trouvait là, ainsi que tous les acteurs de ce drame, il s© + leva èt déclara:

+

— Messieurs, puisqu’il en est ainsi, puis¬ que réellement vous avez acquis la + con¬ viction que mes trois collaborateurs ont commis sür les aéroplanes de deux + de mes concurrents des attentats que je réprouve, je ne veux pas qu’il reste un + seul soupçon sur moi et je me retire de la course Spite-j berg-Pôle Nord. Je + vais rentrer en Italie.

+

Nicolas Weiner répondit:

+

— Vous avez tort, mon cher camarade, notre jugement ne vous atteint aucune¬ + ment, vous pouvez rester.

+

Laurent Taliani insista:

+

— Je vous demande pardon, M. Weiner, je ne peux rester. Je me suis rendu cou¬ + pable, vis-à-vis de M. Pierre Lathon d’une méfiance injustifiée, je le reconnais + ici bien hautement. C’est vrai, je ne fais aucun mystère de l’avouer: j’ai + jalousé

+ + + +

M. Pierre Lathon. Mais tout semblait cons¬ pirer contre lui pour me le rendre + anti¬ pathique. Dans les débuts, j’étais assez volontiers attiré vers lui. Mes + collabora¬ teurs, à qui je ne peux pardonner ces ma¬ chinations, me le + présentèrent comme un homme vil, capable de me voler les mo¬ difications + apportées récemment à mon appareil. J’ai fini par le croire. Là-dessus est venu + se greffer un incident que vous connaissez et que dans sa grande loyauté M. + Pierre Lathon vous taisait tout à l'heu¬ re : il s’agit de mon amour pour + mademoi¬ selle Nelly Faber. C’est vrai, j’ai aimé, <5t j’aime encore cette + jeune fille. Voyez, mes¬ sieurs, quel fut le mouvement de haine sou¬ levé en moi + par l’intervention imprévue de M. Lathon. Ainsi cet homme qui m’était représenté + par les miens comme un voleur d’idées, cet homme voulait maintenant me prendre + celle que je chérissais si tendre- ment-, j Et je prononçai alors cette phra¬ se + : «* Nous nous retrouverons ! » phrase de dépit, de colère, qui a été mal inter¬ + prétée par la suite et qui aujourd’hui me faisait accuser du plus noir forfait. + Je vous en prie, messieurs, ne me jugez pas défavorablement. Merci de m’avoir + mis len dehors de ces machinations infâmes tramées par trois de mes + collaborateurs.

+ + +

Non, je ne puis rester parmi vous, et je partirai dès demain à bord de + VAéro-Club français avec ceux qui commirent, je le répètje encore, le plus + lâche, le plus abo¬ minable des crimes. '

+

Nicolas Wieiner se leva et prononça ces quelques paroles :

+

— Messieurs, nous remercions notre ca¬ marade Laurent Taliani des protestations + qu’il vient de prononcer ici, c’est un brave cœur nous le savions tous, nous lui + repro¬ cherons seulement d’avoir été trop faible vis-à-vis de ceux qui + l’entouraient. Un honnête homme devrait avoir une in¬ fluence sur les canailles + et ce ne sont pas. les canailles qui devraient en avoir sur lui. Messieurs, le + tribunal d’honneur ayant rempli sa tâche le plus dignement possi¬ ble, je lève + la séance.

+

Dans un brouhaha de conversations par¬ ticulières, les assistants sortirent, les + mé¬ caniciens italiens avaient un air ministre qui'n’était rien moins que + rassurant.

+

Nelly le fit remarquer à Pierre Lathon, ce dernier eut un geste de dédain et dé¬ + clara :

+

— Qu’ils aillent se faire pendre ail¬ leurs !

+
+ +
+ XI + UNE NUIT TRAGIQUE +

Tout dormait dans Aéroville et pourtant — phénomène singulier 1 — le jour était + aussi vif qu’en plein midi. Il était une; heure du matin, le froid était un peu + moins intense et le vent ne soufflait plus.

+

Après les événements qui avaient ani¬ mé Aéroville, la cité d’aéroplanes, il + était étrange de n’entendre aucun bruit, de ne voir personne dans les quatre + rues, per¬ sonne sur le -pas des portes, toutes fermées.

+

Il était, nous l’avons dit, une heure du matin, à l’horloge officielle de la + bara¬ que du Comité. Une heure du matin et il faisait grand jour.

+

Pour ceux de nos lecteurs que la chose intriguerait, nous rappellerons + simplement • qu’au Pôle arctique, du printemps à l’au¬ tomne, règne un jour + perpétuel. Pas de nuits noires l Rien ne vient distinguer* dans la nature, le + jour des heures consa¬ crées en général au repos.

+

Cependant, tous les animaux égarés dans ces solitudes glaciales s’endorment au + mo¬ ment voulu et peu leur imperte l’éclat plus ou moins vif de la lumière.

+ + + +

Nous ajouterons encore que cette per¬ pétuité du jour pendant six mois est due + au soleil qui éclaire le Pôle arctique plei¬ nement malgré la rotation de la + Terre pendant le printemps et l’été.

+

Quand l’automne survient, le Pôle arcti¬ que est plongé dans des ténèbres que + vien¬ nent uniquement dissiper des aurores bo¬ réales magnifiques.

+

A ce moment, le Pôle antarctique, autre¬ ment dit le Pôle Sud, que tout + récemment tenta d’aborder le lieutenant Schakleton, est inondé de lumière + jusqu’au printemps.

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C’est de là que vient l’alternance des sai¬ sons. Mais fuyons au plus vite ces + ques¬ tions scientifiques trop ardues pour être développées ici et poursuivons + nôtre récit.

+

Il était une heure du matin lorsque des baraques italiennes sortirent deux hom¬ + mes, c’étaient Félix Gumberto et Victor Ainoterellini. t

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Etouffant le bruit de leurs pas, par une marche silencieuse, ils longèrent les + baraques anglaises, russes et autrichien¬ nes. Ils se dirigèrent ensuite vers + les baraques françaises.

+

Ils avaient certainement de mauvaises intentions, car ils se souciaient peu + d’être» vus et se retournaient par instants, com¬ me par crainte d’être + suivis.

+ + + +

Lumière du jour tu gênes instinctive¬ ment tous ceux qui se disposent à com¬ + mettre quelque mauvaise action ! Tu n'es pas aimé|e des gens qui ne 'travaillent + d'habitude que la nuit, tel des hyènes et des vampires. Les ténèbres pour + ceux-là sont les complices sûrs, les complices qui encouragent et qui + dissimulent.

+

Les mécaniciens italiens, arrivés aux hangars de Pierre Lathon, tirèrent des + poches de leurs manteaux quelques pinces et se mirent en devoir de forcer la + serrure de la porte.

+

Ils y parvinrent facilement et entrè¬ rent. Ils devaient partir le lendemain + avec Y Aéro-Club français et l’on avait négligé de les surveilier, pensant que + la crainte les immobiliserait.

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Le « Pourquoi pas ? » était toujours à la même place, déjà le moteur abîmé avait + cojmmencé à être réparé, des outils étaient déposés sur le sol.

+

Félix Gumberto le premier 'eut un rire sardonique et silencieux, il brandit une + bouteille qu’il avait apportée et la montra sans rien dire à son compagnon, + celui-ci fit une grimace significative, prit le ré¬ cipient des mains de son + camarade, le déboucha, eit commença à arroser un plan de l’appareil avec le + liquide qu’il contenait.

+ + +

dits avaient formé la projet d'incendier la baraque personne ne sinistrés + occupations.

+

Victor Ai.noterellini avait vidé s» bou¬ teille, il la posa sur le sol puis fit + cra- quèr une allumette et se pencha pour en* flaminer la toile de + l’aéroplane.

+

Deux détonajtions retentirent coup sur coup et les italiens tombèrent à. la ren¬ + verse.

+ +

Jacques Loniam, qui couchait dans une sorte de soupente d’un hangar voisin, + avait entendu marcher, il Vêtait babillé en t$to gt. son rgÿpiyer à la main, + était venu ypir cè qui se passait.

+

Il était bon tireur et avait abattu les deux misérables qui, mortellement + blessés, se tordaient dans les affres de l’agonie.

+

Mais il était trop tard... le « Pourquoi pas? » avait pris fèu et la flamme, lé¬ + gère d’abord, gagnait la cabine de di- reotîsh.

+

Loniam se précipita, saisit des fourru¬ res qui se trouvaient là et les jeta sur + le foyer.

+

Grâce à cette promptitude et à cette pré¬ sence d’esprit/ le féù fut + étouffé.

+ + + +

Lucien Golfech survenait effaré, puis Pierre Lathon et des ouvriers.

+

L^émoi fut énorme et Jacques Loniam fut, comme on le pense, joyeusement féli¬ + cité. Quant aux deux cadavres on les jeta dehors sans autres égards...

+

Et chacun, après avoir longuement èpi- logué sur cette nouvelle aventure, alla + se coucher.

+

...Mais il était dit décidément que cette nuit-là, personne ne pourrait, dormir + dans Aérovïlle, car vers les deux heures du ma¬ tin un fracas horrible + retentit.

+

Les baraques russes venaient d’être le théâtre d’un drame atroce. Nous n’avons + pas oublié que le champion russe était le grand-duc Serge Potropstock et que son + secrétaire Félyne Daniloff se révélait un homme taciturne et renfermé.

+

Or cette nuit-là, le grand-duc avait été réveillé en sursaut, Félyne Daniloff se + tenait devant lui et le menaçait d’un re¬ volver .

+

— Félyne que fais-tu ? avait demandé le grand-duc désagréablement surpris.

+

— Je viens venger tes victimes, misé¬ rable 1 je fais partie du « Club des Ter¬ + roristes rouges » de Moscou et j’étais at¬ taché à ta personne pour t’épier. Or + j’ai reçu par le courrier arrivé aujourd’hui

+ + + +

un ordre de mon Club, m’enjoignant de te tuer... c'est ce que je vais faire 1 + Fais une prière pour le repos de ton âme... tu vas mourir 1 La bombe qui doit te + dépecer est depuis longtemps en ma propriété... le jour est venu! Prie!

+

Le grand-duc avait essayé de fléchir son secrétaire :

+

— Mon petit Félyne, avait-il dit, tu sais bien comme je t’aime, épargne-moi, tu + auras une fortune, tu vivras à l’étran¬ ger, ton Club ne pourra t’y + rechercher.

+

— Prie, misérable!

+

Voyant dans les yeux de Daniloff qu’il était décidé à tout, Serge Botropstock se + mit à hurler:

+

— Au secours ! Au secours!

+

Félyne Daniloff eut un geste bref, il jeta la bombe qu'il tenait de sa main + gauche.

+

Elle éclata sur le lit, anéantit lé grand duc et blessa à mort le nihiliste qui + tom¬ ba sans pousser un cri, victime de son propre fanatisme, et esclave de ses + doc¬ trines.

+

Le feu se communiquait à la boiserie de la baraque, de toutes parts l’on ac¬ + courait... et le sinistre fut assez rapide¬ ment conjuré.

+

Nuit tragique qui tuait les deux méca-

+ + + +

niciens de Laurent Taliani ; nuit 'tragique, qui privait la course « + Spitzberg-Pôle Nord » d'un concurrent de plus.

+

La fatalité semblait décidément s’achar¬ ner sur Aéroville.

+
+ +
+ XII + SIX CONCURRENTS +

Maintenant que Laurent Taliani s’était retiré de la course et que le grand duc + Serge Petropstock était tombé sous la bom¬ be nihiliste de son secrétaire Félyne + Da- niloff, il ne restait plus que huit concur¬ rents décidés à tenter + l’audacieuse ran¬ donnée Spitzberg-Pôle Nord et retour.

+

Les aéroplanes de Pierre Lathon et de Johnson Faber étaient merveilleusement mis + au point, les brisures de moteurs cau¬ sées par les italiens furent facilement + ré¬ parées, quant à l’aéroplane Lathon, le commencement d’incendie dont il avait + été victime, ne l’avait presque pas endom¬ magé.

+

Les autres appareils étaient-il3 dans un état semblable de perfection ? C’est ce + que nous allons rapidement voir. Nicolas Wei- ner avait fait quelques essais, + certes l’ai-

+ + + +

lemand obtenait de forts beaux rêsültâfo, maie il n’eiait pas encoro absoluménfc + ô'ûp de son moteur. En éîîei^ il s'arrêtait sou* ment, ce qui obligeait + l'aviateur- à, des¬ cendre à. terre.

+

Or, dans la randonnée vers le Pôle, ne fallait-il pas réduire au minimum ces + des¬ centes qui pouvaient être très dangereu¬ ses, l’appafeil courant le risque + de se briser au lancement?

+

Donc Nicolas Weiner et Frans Ilyde tra¬ vaillaient courageusement à + l’améliorattion de leur machiné à voler, ils espéraient

+ +

y, aboutir .

+

Alphonse Dicquez lui, avait un appareil très en mains, qui cërtes, en Europe, + pou¬ vait émerveiller bien des gens, mais qui né paraissait pas assez résistant + pour en¬ treprendre un match aussi colossal.

+

Miguel Sebata, le compagnon de Dic¬ quez, le disait sans cesse:

+

— Mon cher Dicquez, disait-il, je n’ai pas confiance dans l’effort de noire + mô-

+ +

si, mais si, mon petit, vous verrez I répondait l’espagnol et se tour¬ nant vers + sa jeune femme Dolorès, il ajoutait : «. N’est-ce pas Dolorès, que nous irons au + Pôle? »

+

Et Dolorès, docile, de dire:

+ + + +

*

+

— Puisque tu l’affirmes, mon ami.

+

3£n attendant, il sortait tops les. jours, volait très tard, s’attardait dans + les airs, faisait des constatations, avait pour son appareil des soins + maternels.

+

Pour deux concurrents malheureux, cer¬ tes Wilhelm Fürster et Carte Dihoin pou¬ + vaient se vanter de l’être au-delà de toute mesure...

+

Malgré tous les efforts qu’ils prodi¬ guaient sans compter, les appareils de + l’autriehien et du portugais, ne parve¬ naient pas à quitter le sol.

+

Peut-être ôtaient-ils insuffisamment équi¬ librés. En effet, un problème assez + dif¬ ficile à résoudre se posait: il fallait em¬ porter une grande quantité + d’essence, puis¬ que la distance à parcourir était envi¬ ron de mille à onze + cents kilomètres pour l’aller et autant pour le retour. Çè qui faisait, en + tenant compte des aléas, un voyage de deux mille à deux mille cinq cents + kilomètres: une bagatelleI

+

Or, qette essence pesait beaucoup et il fallait unè puissance énorme du mptqur + pour la transporter durant un long par¬ cours .

+

Sans doute Carlo Diboin et Wilhelm Fürster avaient-ils mal fait leurs divers + calculs, Dorothée, la jeune femme de

+ + + +

Fürster, était peut-être plus affectée de cet évènement que son mari.

+

Quant aux frères Jack et Joël Spithson, champions des Etats-Unis; il leur arriva + une mésaventure assez vexante.

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Leur mécanicien Folter, un ivrogne, avait mal réglé le moteur, lors de la

+ +

première expérience; de sorte que l’appa¬ reil par suite d’une défaillance de ce + mo¬ teur, capota à cinquante mètres de hau¬ teur et vint s’abîmer sur le sol. Il + était complètement détruit, les deux frères Spith¬ son étaient indemnes, Folter + seul était blessé, mais peu grièvement.

+

Les deux frères essayèrent de recons¬ truire l’appareil, mais ils s’aperçurent + que c’était une folie et y renoncèrent. Un autre concurrent disparaissait + doncl

+

Le japonais Nito, lui, était loin de vou¬ loir abandonner la partie, son + aéroplane volait assez bien et obtenait de bons ré¬ sultats. Nito étaitravi, il + escomptaitlaréussite.

+

Somme toute, sur les six concurrente de Lathoii et Faber, deux étaient dans + l’impossibilité de prendre part à la course, à cause de la défectuosité de leurs + aéro¬ planes, et les frères Spithson abandon¬ naient. Il restait Dicquez, Weiner + et Nito. De ces trois là, Nito semblait jusqu’àj présent être le plus + redoutable.

+
+ +
+ XHI + LE DÉPART DE LA COURSÉ +

Le grand jour était enfin arrivé, Aéro- viïle était en fête et chacun paraissait + ‘ joyeux. Au moins en apparence, car l’é¬ preuve était rude et rien ne prouvait + que tous en reviendraient.

+

Pour la dernière fois, M. Charly-Bois- sette avait donné aux ayxÉteùrà des ex¬ + plications très détaillées sur lès observa¬ tions à faire, lès précautions à + prendré, les probabilités.

+

Seuls peut-être parmi lès èïnq ©#ajr- rents qui Se présentaient, Làthon et Pa- + ber étaient réellement très confiante dans la réussite.

+

Pierre Latbon emportait une quantité fantastique d’essence et il disait avec co¬ + quetterie:

+

~ Vous vêrrez que j’aurai à en re¬ vendre à mon rétour 1

+

Johnsoh Pabèr lui, avait calculé son ap- pfoviâionnèmënt et avait très pèu ina- + jorê la quantité dont il avait besoin.

+

Quant à Nicolas , peiner, Nifco et Blo¬ quez, ilé pâraissaÜnfc satisfaits.

+

Les cinq aéroplanes étaient placés en

+ + + +

ligne, 6éparé§ de vingt cinq mètres cha¬ cun, au noya jd’AérqviUf/ l’avant + tourné. da.n« là direction du Pôle.

+

Une suprême recommandation fut imite par Jacques Lavernière, entouré de tous les + membres du comité :

+

— Messieurs, n’oubliez pas que si l’un’ d’entre vous se trouve dans une posture + critique, vous avez le devoir de l’en ti¬ rer immédiatement. Les intérêts de + l'hu¬ manité passent avant ceux de la course. $out concurrent secouru aura + d’ailleurs l’infériorité et son sauveur sera classé avant lui, je compte sur + votre loyauté à tôiiSf pour faire observer cette clause et pour nous dire lai + vérité l Et maintenant, messieurs, regagnez vos machines, je me fais auprès de + vous l’interprète de tous lès habitante d’Aéroville et aussi de nos am|s du + monde entier, pour vous sou¬ haiter pleine réussite et bon retour. Au devoir# + messieurs l

+

Lentement, les aviateurs, se dirigeaient vers leurs machines, Nelly Faber et + Pierre Lathon s'embrassèrent tendrement puis se séparèrent à regrets, Jacques + Loniam .fai¬ sait le beau et le docteur Lucien Golfech se .moquait de lui.

+

tîne exclamation universelle s’éleva sou¬ dain dans l’air, glacial, un petit + canon

+ + + +

ide sauvetage de VAéro-Club français ve¬ nait sur l'ordre de Jacques Lavernière + de donner le départ de la course.

+

Presqu’aussitôt après, une pétarade de moteurs retentit, les aéroplanes se lan¬ + çaient, les hélices tournaient, presque tous partirent en même temps, à + l’exception de Nito qui eut quelques ratés et qui se laissa dépasser d'une + centaine de mè¬ tres.

+

L’on distinguait dans les airs les ap¬ pareils ornés des drapeaux de la nationa¬ + lité, ils gagnèrent les hautes couches de

+

l'atmosphère, bonne précaution, car en cas de panne du moteur, il fallait pou¬ + voir atterrir en vol plané en un endroit favorable.

+

De l’endroit où se trouvait situé Aéro- ville au Pôle Nord il y avait environ + mille à onze cents kilomètres, Pierre La- thon espérait s’y rèndre en une + huitaine d'heures et redemander aussitôt à son ap¬ pareil l’effort fantastique + du retour. Il espérait atteindre la vitesse constante de cent cinquante + kilomètres & l'heure qui avait été prévue dès l’origine pour le « Pourquoi + pas?

+

Johnson Faber avait aussi l'intention d'atteindre une vitesse semblable ; les + trois autres concurrents, d'après leurs essais et

+ + + +

leurs expériences, pouvaient évidemment faire du cent cinquante à. l'heure, mais + rien ne prouvait qu’ils pouvaient s’y main¬ tenir.

+

La course seule pouvait le dire. Dès le début, les cinq appareils luttèrent de + vi¬ tesse, le japonais Nito, qui avait cent mè¬ tres de retard, les rattrapa + facilement et voulut dépasser ses camarades.

+

Alphonse Dicquez ne voulut pas se lais¬ ser vaincre dès le début et força son + al¬ lure, ce qui était un tort.

+

Pierre Lathon, Johnson Faber et Ni¬ colas Weiner continuaient à la même vi¬ + tesse presque tous trois à la même hau¬ teur, pendant que l’espagnol et le + japonais prenaient les devants ;

+

Le résultat ne se fit pas attendre, une heure s’écoula lorsque Nito ralentit et + dut s’arrêter. On le vit planer puis descendre sur une plaine recouverte de + glace.

+

Les quatre autres concurrents continuè¬ rent leur route, Alphonse Dicquez se re¬ + pentit bientôt d’avoir fatigué son moteur, il dut s’arrêter lui aussi pour + réparer une pièce importante qui s’était faussée.

+

* L’endroit au-dessus duquel volaient les trois champions, de la France, + l’Angleterre et l’Allemagne, était sauvagement beau.

+

Aussi loin que lè regard pouvait s’é-

+ + + +

tendre, 1$. plaine de glace s’étendait, plai¬ ne unie et d’un niveau absolument + régu¬ lier.

+

D’énormes blocs surgissaient du sol et paraissaient de blancs fantômes. + D’aillëurs, ce qui frappait le plus les aviateurs c’é¬ taient ces perspectives + blanches.

+

Tout était blanc, le ciel, la terre, toutj jusqu’aux figures des hardis + concurrents. Le soleil, dénué de ses rayons, apparaissait à l’horizon, d’un + rouge sang, tel que nous l’apercevons parfois, par des journées brû- meuses au + moment de son coucher.

+

Ge qui était désolant et donnait une pro¬ fonde impression de tristesse, c’était + l’ab¬ sence d’êtres animés.

+

Quel désert 1 Quel sinistre et désolé dé¬ sert!

+

M. Charly-Boissette l’avait encore ex¬ pliqué aux aviateurs avant leur départ, + le Pôle Arctique était marqué au sommet de la terre par une forte + dépression."

+

Une sorte de cuvette de près de quatre mille mètres de profondeur recevait dès + eaux que l’Océan Atlantique venait iê-

+ +

Au contraire, au Pôle Antarctique, au Pôle Sud, la Terré présentait une saillie, + èt d’énormes monts s’ÿ dréssàiént-.

+

Cette cuvette dii Pôle Nord était perpé-

+ + + +

tuellemeht gelée et l’on pouvait dire que c’étaitun éontinent de glace, flottant + sur l’eau.

+

Sur les côtes du Spitzberg, cette glace était fondu* en quelques endroits on + aper¬ cevait la mer où venaient s’ébattre quel¬ ques chiens de mer, des phoques + ; des ota¬ ries et où quelques ours blancs venaient nager.

+

Mais % présent rien de tout cela ne •venait distraire 'les aviateurs, seul, le + mou¬ vement de leur moteur les préoccupait.

+

A bord des trois aéroplanes, on calculait les distances et chacun était joyeux + de voir diminuer le nombre de kilomètres.

+

Dicquez et Nito avaient été laissés bien loin à l’horizon, ils ne rattraperaient + leurs camarades qu’à moins d’un arrêt de ces derniers.

+

Lucien Golfech donnait des explications à Pierre Lathon, explications que + Jacques Loniam écoutait gravement, non sans fierté.

+

Làthon était très satisfait du rendement de son moteur, de temps à autre il + coupait l’-allumage et mettait en marche le deuxiè¬ me, ce qui permettait au + premier de se reposer et de hé pas s’encrasser.

+

Cfette disposition lui donnait une réelle supériorité sur ses adversaires, en + effet

+ + + +

Johnson Faber dût s’arrêter bientôt pour nettoyer son moteur.

+

Pierre Lathon voulait s’arrêter aussi, inquiet pour Nelly, mais Lucien Golfech + l'en empêcha.

+

Nicolas Weiner à son tour atterrit et le jeune français se trouva seul, en route + vers le Pôle, confiant dans les moteurs incomparables que lui avait donnés le + mar¬ quis de la Lande.

+

Les kilomètres fuyaient éperdûment, et toujours la plaine blanche déroulait son + désert lugubre.

+
+ +
+ XIV + VERS LE POLE +

Au fur et à mesure qu’ils se rappro¬ chaient du Pôle, les trois français + sentaient leur émotion s’augmenter.

+

Une terreur les prenait soudainement et faisait passer dans leur échine un long + frisson: si pour une raison ou une autre ils n’arrivaient pas au but qu’ils + s’étaient proposé?

+

S’il survenait un accident au moteur, si le réservoir à essence était abîmé?

+

Autant d’éventualités que les jeunes gens envisageaient sans se les + communiquer.

+ + + +

Victorieusement, rompant le silence qui s’était établi entre eux trois, Lucien + Gol- fech annonça : f

+

— Le Pôle est à cent kilomètres 1 -

+

Nerveux, Pierre Lathon s’exclama:

+

. — Allons « Pourquoi pas ? » encore un bond vers le Pôle mon vieux camarade? + Puis tu nous ramèneras au Spitzberg, après quoi tu pourras te reposer!

+

— Quel chic voyage quand même ! mur¬ mura Jacques émerveillé.

+

— Vous trouvez, Jacques, dit Lucien Golfech, vous n’auriez pas préféré garder + les meubles de votre maître, à Paris?

+

— Ah, monsieur veut rire ! je suis si heureux d’être ici!

+

— Vous y resterez peut-être mon ami jusqu'à la fin des siècles?

+

— Amen ! déclara joyeusement Loniam.

+

— Vrai, ça vous serait égal de mourir en ce moment ?

+

— Voyez-vous, monsieur le docteur, je n’y crois pas, le « Pourquoi pas ? » est + trop bien constitué, nous irons jusqu’au bout, nous triompherons !

+

— Mais je l’espère aussi! fit Golfech.

+

De nouveau, le silence s’établit, le mo¬ teur explosait périodiquement, les + hélices ronronnaient inlassablement.

+

L’aéroplane volait sans discontinuer de-

+ + + +

puis sept heures et demie, d’ailleurs Pierre Lâ%hon, dans son voyage + Paris-Bordeaux avait déjà accompli ce raid magnifique qüi l’avait si bien + qualifié pour la course Spitzberg-Pôle Nord.

+

Soudain, le ronronnement des hélices di¬ minua d’intensité. Pierre Lathon pâlit + et dit :

+

— Mes amis, nous nous arrêtons l

+

En effet, le moteur explosa une der¬ nière fois avec peine, puis se tût. Sans + perdre son sang froid, Pierre Lathon mit en marche le deuxième moteur. L’aéro- + planel qui avait commencé la descente, reprit son vol majestueux.

+

— Ouf, j’ai eu peur ! déclara Golfeçh .

+

— Nous ne sommes pas sauvés, dit La¬ thon . Pourvu que le deuxième moteur n’ait + pas une panne à son tour. Nous réparerons le premier, si nous le pouvons, au + Pôle...

+

— Alors vous voulez atterrir?

+

— Mais comment donc, il faut mon ami que vous fassiez toutes les observa¬ tions + scientifiques, prescrites par Charly- Boissette, après quoi nous + repartirons.

+

Vingt minutes j&üs tard," Golf ecb annonça avec (grandiloquence :

+

— Nous sommes au Pôle I

+

En effet, la bousspje était complètement affolée et tournait dans tous lès + sens.

+ + + +

Blême d’émotion, Lathon coupa l'allu¬ mage, le « Pourquoi pas ? » descendit len¬ + tement et bientôt se posa avec douceur sur la glace.

+

Lés trois français se revêtirent de leurs fourrures, mirent d’épais bonnets qui + ne laissaient passer que les yeux et sortirent.

+

Avant d’ouvrir la porte, Loniam s’écria d’un accent gavroche:

+

— Eh bien zut, c’est rien moche le Pô|e Nord 1 Pas même un chand de vin pour s’y + réchauffer... eh bien où est donc passé le garçon ?... Garçon ? ? Trois grogs + (américains, s. v. p.? Et vite, on est gelés !

+

Pierre Lathon sourit:

+

•— Gosse va ! dit-il en haussant les épau¬ les.

+

|ls sortirent. Certes, le Pôle Nord n’avait rien de bien extraordinaire. C’était + le cen¬ tre de la cuvette marine dont nous avons parlé plus haut et la glace y + était unie comme sur toute l’étendue de cette cuvette, mais Lucien Golfech + relevait ses observa¬ tions, relevait la hauteur du soleil à l’horizon, mesurait + l’angle qu’il faisait avec la terre.

+

Il avait extrait de la cabine du « Pour¬ quoi'pas? » toute une/ série + d’appareils dont il se servit instantanément.

+ + + +

Pierre Lathon songeait... ainsi c’était là l’axe de la terre, le Pôle Nord dont + on lui parlait tout enfant à l’école, et qu’on lui représentait comme une terre + inviolée et inabordable.

+

Lui, Pierre Lathon, connaissait désor¬ mais cet honneur d’avoir été l’un des + pre¬ miers en ce point si mystérieux du globe. Et ii planta le drapeau français + dans la glace.

+

De tous les côtés, c’était le Sud! le Sud partout ! Devant lui I derrière lui î + à sa gauche 1 à sa droite !

+

Mais il aperçut Loniam qui inspectait le moteur malade, il s’y rendit, ils + eurent vite découvert la cause de la panne, c’é¬ tait un engorgement auquel ils + remédièrent aussitôt.

+

Une demi-heure s’écoula, le « Pourquoi pas ? » était prêt à partir. Mais Lucien + Golfech n’avait pas fini, il fallut attendre une heure encore, car les + observations exigées par Charly-Boissette étaient mé¬ ticuleuses à faire et + d’une nature beau¬ coup trop scientifique pour que nous son¬ gions à en + entretenir nos lecteurs.

+

Enfin, le jeune médecin replia tous ses appareils et lés replaça dans + l’aéroplane, où l’attendaient Lathon et Loniam transis de froid, car la + température était épouvan¬ tablement glacée.

+ + + +

— Je viens me chauffer, déclara Gol- fech. Brrl quel froid!

+

Avant de repartir, les trois jeunes gens prirent un repas, composé surtout + d’ali¬ ments chimiques, de capsules préparées en Europe, à Paris, par le + Docteur.

+

Et soudain, lorsque le « Pourquoi pas ? » fut sur le point de s’envoler, Lathon, + tout joyeux, signala à l’horizon un aéroplane.

+

Ils partirent. Dix minutes s’écoulèrent, Lathon eut le bonheur le premier de dé¬ + couvrir avec sa jumelle les couleurs de l’Angleterre.

+

C’était Johnson Faber qui avait réparé son appareil et qui à son tour venait at¬ + terrir au Pôle.

+

Derrière le panneau vitré, Lathon en¬ voya un baiser à sa fiancée qu’il aperçut + distinctement... Les deux machines se croi¬ sèrent, mais ne s’arrêtèrent pas, et + chacune poursuivit sa route, l’une vers le Nord, l’autre vers le Sud.

+

Une heure après ce fut l’aéroplane al¬ lemand que rencontra Lathon, puis le dé¬ + sert recommença pendant de longues heu¬ res.

+

Une nouvelle panne contraignit, le « Pour¬ quoi pas ?» à atterrir une deuxième + fois, en une heure elle fut réparée !

+

Il y avait quinze heures que le départ

+ + + +

de la course avait été donné, lés jeunes gens ne se sentaient duçune;nént + fatigués, mais il leur tardait de revoir les baraques d’Aérovüle qui leur + parafaient être ie inonde civilisé.

+

Enfin, vingt-quatre heures exactèment après son départ, le « Pourquoi pas? » + vint atterrir devant son hangar à Aéro- ville.

+

Les membres de l’Aéro-Clüb s'empres¬ sèrent très émus, toute la population + aussi.

+

Au premier rang, Pierre Lathon distin¬ gua Alphonse Dicquez, Nito, qui avaient + abandonné la coursé.

+

Fièvreusement, il dit qu’il avait réussi dans sa tentative, et ce fut un + enthousias¬ me indescriptible.

+

Çharly-Boissette entraîna Lucien Gol- fech :

+

— Mon cher docteur, avez-vous fait am¬ ple moisson ?

+

— Oui, mais je vous demanderai d’al¬ ler me coucher, je suis brisé 1

+

Loniam ne voulut aller prendre du éoiti- meil qu’après avoir fait rentrer le + glo¬ rieux « Pourquoi pas? » dans J’ateliér.

+

Quant à Pierre Lathon, il attendait avec angoissé lé retour de Johson Fabèr, ak + retour se produisit cinq heures après.

+

il donna lieu à une nouvelle ovation.

+ + + +

Nicolas Weiner fit son apparition dix heu* res seulement plus tard.

+

Johnson Faber était radieux.

+

— Mon cher ami, dit-il à Pierre La- th'on, je Buis heureux d’être parvenu au + Pôle, mais je suis encore plus heureux que vous ayez gagné le prix.

+

Pierre Lathon tendit la main *à‘ son; fu¬ tur beau-père:

+

— Merci, lui dit-il, je tiens à vous annoncer que je veux partager ce prix + également entre mes collaborateurs et moi I

+

« Us ont été à la peine, il est juste qu’ils aient une rémunération autre que le + simple honneur de m’accompagner.

+

« Je compte aussi dédommager mes mon¬ teurs et mes mécaniciens des peines pri¬ + ses ici par eux... Le dévouement de ces braves gens m’a été précieux. Et main¬ + tenant, monsieur Faber, rentrons vite en France, j’ai hâte... oh oui, j’ai hâte + de voua ravir Nelly...

+

— Elle vous aime tant l dit l’aviateur, anglais.

+

~ Est-ce vrai, Nelly? demanda Lathon en se tournant vers sa fiancée.

+

— Oh oui Pierre 1 déclara la jeune fille.

+

... Puis, comme il lui souriait avec ten¬ dresse, elle se jeta dans ses bras et + ils s’étreignirent longuement.

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Jehan Gilbert..;

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