verlaine_amour.xml

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      <titleStmt>
        <title>Amour</title>
        <author key="Verlaine, Paul (1844-1896)"/>
      </titleStmt>
      <publicationStmt>
        <publisher>GitHub</publisher>
      </publicationStmt>
      <sourceDesc>
        <bibl>
          <ref target="http://efele.net/ebooks/livres/000234">http://efele.net/ebooks/livres/000234</ref>
        </bibl>
      </sourceDesc>
    </fileDesc>
    <profileDesc>
      <creation>
        <date when="1888"/>
      </creation>
      <langUsage>
        <language ident="fr"/>
      </langUsage>
      <textClass>
        <keywords>
          <term subtype="verse" type="genre">Vers</term>
        </keywords>
      </textClass>
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  </teiHeader>
  <text>
    <body>
      <div xml:id="p1">
        <pb n="3"/>
        <head>PRIÈRE DU MATIN</head>
        <lg>
          <l>O Seigneur, exaucez et dictez ma prière,</l>
          <l>Vous la pleine Sagesse et la toute Bonté,</l>
          <l>Vous sans cesse anxieux de mon heure dernière,</l>
          <l>Et qui m’avez aimé de toute éternité.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Car — ce bonheur terrible est tel, tel ce mystère</l>
          <l>Miséricordieux, que, cent fois médité,</l>
          <l>Toujours il confondit ma raison qu’il atterre, —</l>
          <l>Oui, vous m’avez aimé de toute éternité,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Oui, votre grand souci, c’est mon heure dernière,</l>
          <l>Vous la voulez heureuse et, pour la faire ainsi,</l>
          <l>Dès avant l’univers, dès avant la lumière,</l>
          <l>Vous préparâtes tout, ayant ce grand souci.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Exaucez ma prière après l’avoir formée</l>
          <l>De gratitude immense et des plus humbles vœux,</l>
          <l>Comme un poète scande une ode bien-aimée,</l>
          <l>Comme une mère baise un fils sur les cheveux.</l>
        </lg>
        <pb n="4"/>
        <lg>
          <l>Donnez-moi de vous plaire, et puisque pour vous plaire</l>
          <l>Il me faut être heureux, d’abord dans la douleur</l>
          <l>Parmi les hommes durs sous une loi sévère,</l>
          <l>Puis dans le ciel tout près de vous sans plus de pleur,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Tout près de vous, le Père éternel, dans la joie</l>
          <l>Éternelle, ravi dans les splendeurs des saints,</l>
          <l>O donnez-moi la foi très forte, que je croie.</l>
          <l>Devoir souffrir cent morts s’ils plaît à vos desseins ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et donnez-moi la foi très douce que j’estime</l>
          <l>N’avoir de haine juste et sainte que pour moi,</l>
          <l>Que j’aime le pécheur en détestant son crime,</l>
          <l>Que surtout j’aime ceux de nous encor sans foi ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et donnez-moi la foi très humble, que je pleure</l>
          <l>Sur l’impropriété de tant de maux soufferts,</l>
          <l>Sur l’inutilité des grâces et sur l’heure</l>
          <l>Lâchement gaspillée aux efforts que je perds ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et que votre Esprit-Saint qui sait toute nuance</l>
          <l>Rende prudent mon zèle et sage mon ardeur ;</l>
          <l>Donnez, juste Seigneur, avec la confiance,</l>
          <l>Donnez la méfiance à votre serviteur.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Que je ne sois jamais un objet de censure</l>
          <l>Dans l’action pieuse et le juste discours ;</l>
          <l>Enseignez-moi l’accent, montrez-moi la mesure ;</l>
          <l>D’un scandale, d’un seul, préservez mes entours ;</l>
        </lg>
        <pb n="5"/>
        <lg>
          <l>Faites que mon exemple amène à vous connaître</l>
          <l>Tous ceux que vous voudrez de tant de pauvres fous,</l>
          <l>Vos enfants sans leur Père, un état sans le Maître,</l>
          <l>Et que, si je suis bon, toute gloire aille à vous ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et puis, et puis, quand tout des choses nécessaires,</l>
          <l>L’homme, la patience et ce devoir dicté,</l>
          <l>Aura fructifié de mon mieux dans nos serres,</l>
          <l>Laissez-moi vous aimer en toute charité,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Laissez-moi, faites-moi de toutes mes faiblesses</l>
          <l>Aimer jusqu’à la mort votre perfection,</l>
          <l>Jusqu’à la mort des sens et de leurs milles ivresses,</l>
          <l>Jusqu’à la mort du cœur, orgueil et passion,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Jusqu’à la mort du pauvre esprit lâche et rebelle</l>
          <l>Que votre volonté dès longtemps appelait</l>
          <l>Vers l’humilité sainte éternellement belle,</l>
          <l>Mais lui gardait son rêve infernalement laid,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Son gros rêve éveillé de lourdes rhétoriques,</l>
          <l>Spéculation creuse et calculs impuissants,</l>
          <l>Ronflant et s’étirant en phrases pléthoriques.</l>
          <l>Ah ! tuez mon esprit, et mon cœur et mes sens !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Place à l’âme qui croie, et qui sente et qui voie</l>
          <l>Que tout est vanité fors elle-même en Dieu ;</l>
          <l>Place à l’âme, Seigneur, marchant dans votre voie</l>
          <l>Et ne tendant qu’au ciel, seul espoir et seul lieu !</l>
        </lg>
        <pb n="6"/>
        <lg>
          <l>Et que cette âme soit la servante très douce</l>
          <l>Avant d’être l’épouse au trône non pareil.</l>
          <l>Donnez-lui l’Oraison comme le lit de mousse</l>
          <l>Où ce petit oiseau se baigne de soleil,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>La paisible oraison comme la fraîche étable</l>
          <l>Où cet agneau s’ébatte et broute dans les coins</l>
          <l>D’ombre et d’or quand sévit le midi redoutable.</l>
          <l>Et que juin fait crier l’insecte dans les foins,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>L’oraison bien en vous, fût-ce parmi la foule.</l>
          <l>Fût-ce dans le tumulte et l’erreur des cités.</l>
          <l>Donnez-lui l’oraison qui soude et d’où découle </l>
          <l>Un ruisseau toujours clair d’austères vérités :</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>La mort, le noir péché, la pénitence blanche,</l>
          <l>L’occasion à fuir et la grâce à guetter ;</l>
          <l>Donnez-lui l’oraison d’en haut et d’où s’épanche</l>
          <l>Le fleuve amer et fort qu’il lui faut remonter :</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Mortification spirituelle, épreuve</l>
          <l>Du feu par le désir et de l’eau par le pleur</l>
          <l>Sans fin d’être imparfaite et de se sentir veuve</l>
          <l>D’un amour que doit seul aviver la douleur,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Sécheresses ainsi que des trombes de sable</l>
          <l>En travers du torrent où luttent ses bras lourds.</l>
          <l>Un ciel de plomb fondu, la soif inapaisable</l>
          <l>Au milieu de cette eau qui l’assoiffe toujours,</l>
        </lg>
        <pb n="7"/>
        <lg>
          <l>Mais cette eau-là jaillit à la vie éternelle.</l>
          <l>Et la vague bientôt porterait doucement</l>
          <l>L’âme persévérante et son amour fidèle</l>
          <l>Aux pieds de votre Amour fidèle, ô Dieu clément !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>La bonne mort pour quoi Vous-Même vous mourûtes</l>
          <l>Me ressusciterait à votre éternité.</l>
          <l>Pitié pour ma faiblesse, assistez à mes luttes</l>
          <l>Et bénissez l’effort de ma débilité !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Pitié, Dieu pitoyable ! et m’aidez à parfaire</l>
          <l>L’œuvre de votre Créateur adorable, en sauvant</l>
          <l>L’âme que rachetaient les affres du Calvaire ;</l>
          <l>Père, considérez le prix de votre enfant.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p2">
        <pb n="8"/>
        <head>ÉCRIT EN 1875</head>
        <salute>À edmond lepelletier</salute>
        <lg>
          <l>J’ai naguère habité le meilleur des châteaux</l>
          <l>Dans le plus fin pays d’eau vive et de coteaux :</l>
          <l>Quatre tours s’élevaient sur le front d’autant d’ailes,</l>
          <l>Et j’ai longtemps, longtemps habité l’une d’elles.</l>
          <l>Le mur, étant de briques extérieurement,</l>
          <l>Luisait rouge au soleil de ce site dormant,</l>
          <l>Mais un lait de chaux, clair comme une aube qui pleure,</l>
          <l>Tendait légèrement la voûte intérieure.</l>
          <l>O diane des yeux qui vont parler au cœur,</l>
          <l>O réveil pour les sens éperdus de langueur,</l>
          <l>Gloire des fronts d’aïeuls, orgueil jeune des branches,</l>
          <l>Innocence et fierté des choses, couleurs blanches !</l>
          <l>Parmi des escaliers en vrille, tout aciers,</l>
          <l>Et cuivres, luxes brefs encore émaciés,</l>
          <l>Cette blancheur bleuâtre et si douce à m’en croire,</l>
          <l>Que relevait un peu la longue plinthe noire,</l>
          <l>S’emplissait tout le jour de silence et d’air pur</l>
          <l>Pour que la nuit y vînt rêver de pâle azur.</l>
          <pb n="9"/>
          <l>Une chambre bien close, une table, une chaise,</l>
          <l>Un lit strict où l’on pût dormir juste à son aise,</l>
          <l>Du jour suffisamment et de l’espace assez,</l>
          <l>Tel fut mon lot durant les longs mois là passés,</l>
          <l>Et je n’ai jamais plaint ni les mois ni l’espace,</l>
          <l>Ni le reste, et du point de vue où je me place,</l>
          <l>Maintenant que voici le monde de retour,</l>
          <l>Ah ! vraiment, j’ai regret aux deux ans dans la tour !</l>
          <l>Car c’était bien la paix réelle et respectable,</l>
          <l>Ce lit dur, cette chaise unique et cette table,</l>
          <l>La paix où l’on aspire alors qu’on est bien soi,</l>
          <l>Cette chambre aux murs blancs, ce rayon sobre et coi,</l>
          <l>Qui glissait lentement en teintes apaisées,</l>
          <l>Au lieu de ce grand jour diffus de vos croisées.</l>
          <l>Car, à quoi bon le vain appareil et l’ennui</l>
          <l>Du plaisir, à la fin, quand le malheur à lui,</l>
          <l>(Et le malheur est bien un trésor qu’on déterre)</l>
          <l>Et pourquoi cet effroi de rester solitaire</l>
          <l>Qui pique le troupeau des hommes d’à présent,</l>
          <l>Comme si leur commerce était bien suffisant ?</l>
          <l>Questions ! Donc j’étais heureux avec ma vie,</l>
          <l>Reconnaissant de biens que nul, certes, n’envie.</l>
          <l>(O fraîcheur de sentir qu’on n’a pas de jaloux !</l>
          <l>O bonté d’être cru plus malheureux que tous !)</l>
          <l>Je partageais les jours de cette solitude</l>
          <l>Entre ces deux bienfaits, la prière et l’étude,</l>
          <l>Que délassait un peu de travail manuel.</l>
          <l>Ainsi les Saints ! J’avais aussi ma part de ciel,</l>
          <pb n="10"/>
          <l>Surtout quand, revenant au jour, si proche encore,</l>
          <l>Où j’étais ce mauvais sans plus qui s’édulcore</l>
          <l>En la luxure lâche aux farces sans pardon,</l>
          <l>Je pouvais supputer tout le prix de ce don :</l>
          <l>N’être plus là, parmi les choses de la foule,</l>
          <l>S’y dépensant, plutôt dupe, pierre qui roule,</l>
          <l>Mais de fait un complice à tous ces noirs péchés,</l>
          <l>N’être plus là, compter au rang des cœurs cachés,</l>
          <l>Des cœurs discrets que Dieu fait siens dans le silence,</l>
          <l>Sentir qu’on grandit bon et sage, et qu’on s’élance</l>
          <l>Du plus bas au plus haut en essors bien réglés,</l>
          <l>Humble, prudent, béni, la croissance des blés !</l>
          <l>D’ailleurs, nuls soins gênants, nulle démarche à faire.</l>
          <l>Deux fois le jour ou trois, un serviteur sévère</l>
          <l>Apportait mes repas et repartait muet.</l>
          <l>Nul bruit. Rien dans la tour jamais ne remuait</l>
          <l>Qu’une horloge au cœur clair qui battait à coups larges,</l>
          <l>C’était la liberté (la seule !) sans ses charges,</l>
          <l>C’était la dignité dans la sécurité !</l>
          <l>O lieu presque aussitôt regretté que quitté,</l>
          <l>Château, château magique où mon âme s’est faite,</l>
          <l>Frais séjour où se vint apaiser la tempête</l>
          <l>De ma raison allant à vau-l’eau dans mon sang,</l>
          <l>Château, château qui luis tout rouge et dors tout blanc,</l>
          <l>Comme un bon fruit de qui le goût est sur mes lèvres</l>
          <l>Et désaltère encore l’arrière-soif des fièvres,</l>
          <l>O sois béni, château d’où me voilà sorti</l>
          <l>Prêt à la vie, armé de douceur et nanti</l>
          <pb n="11"/>
          <l>De la Foi, pain et sel et manteau pour la route</l>
          <l>Si déserte, si rude et si longue, sans doute,</l>
          <l>Par laquelle il faut tendre aux innocents sommets.</l>
          <l>Et soit aimé l’A<hi rend="sc">uteur</hi> de la Grâce, à jamais !</l>
        </lg>
        <dateline>(Stickney, Angleterre.)</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p3">
        <pb n="12"/>
        <head>UN CONTE</head>
        <salute>À j.-k. huŸsmans</salute>
        <lg>
          <l>Simplement, comme on verse un parfum sur une flamme</l>
          <l>Et comme un soldat répand son sang pour la patrie,</l>
          <l>Je voudrais pouvoir mettre mon cœur avec mon âme</l>
          <l>Dans un beau cantique à la sainte Vierge Marie.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Mais je suis, hélas ! un pauvre pécheur trop indigne,</l>
          <l>Ma voix hurlerait parmi le chœur des voix des justes :</l>
          <l>Ivre encore du vin amer de la terrestre vigne,</l>
          <l>Elle pourrait offenser des oreilles augustes.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Il faut un cœur pur comme l’eau qui jaillit des roches,</l>
          <l>Il faut qu’un enfant vêtu de lin soit notre emblème,</l>
          <l>Qu’un agneau bêlant n’éveille en nous aucuns reproches,</l>
          <l>Que l’innocence nous ceigne un brûlant diadème,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Il faut tout cela pour oser dire vos louanges,</l>
          <l>O vous, Vierge Mère, ô vous Marie Immaculée,</l>
          <l>Vous, blanche à travers les battements d’ailes des anges,</l>
          <l>Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.</l>
        </lg>
        <pb n="13"/>
        <lg>
          <l>Du moins je ferai savoir à qui voudra l’entendre</l>
          <l>Comment il advint qu’une âme des plus égarées,</l>
          <l>Grâce à ces regards cléments de votre gloire tendre,</l>
          <l>Revint au bercail des Innocences ignorées.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Innocence, ô belle après l’Ignorance inouïe,</l>
          <l>Eau claire du cœur après le feu vierge de l’âme,</l>
          <l>Paupière de grâce sur la prunelle éblouie,</l>
          <l>Désaltèrement du cerf rompu d’amour qui brame !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ce fut un amant dans toute la force du terme :</l>
          <l>Il avait connu toute la chair, infâme ou vierge,</l>
          <l>Et la profondeur monstrueuse d’un épiderme,</l>
          <l>Et le sang d’un cœur, cire vermeille pour son cierge !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ce fut un athée, et qui poussait loin sa logique</l>
          <l>Tout en méprisant les fadaises qu’elle autorise,</l>
          <l>Et comme un forçat qui remâche une vieille chique</l>
          <l>Il aimait le jus flasque de la mécréantise.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ce fut un brutal, ce fut un ivrogne des rues,</l>
          <l>Ce fut un mari comme on en rencontre aux barrières ;</l>
          <l>Bon que les amours premières fussent disparues,</l>
          <l>Mais cela n’excuse en rien l’excès de ses manières.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ce fut, et quel préjudice ! un Parisien fade,</l>
          <l>Vous savez, de ces provinciaux cent fois plus pires</l>
          <l>Qui prennent au sérieux la plus sotte cascade,</l>
          <l>Sans s’apercevoir, ô leur âme, que tu respires ;</l>
        </lg>
        <pb n="14"/>
        <lg>
          <l>Race de théâtre et de boutique dont les vices</l>
          <l>Eux-mêmes, avec leur odeur rance et renfermée,</l>
          <l>Lèveraient le cœur à des sauvages, leurs complices,</l>
          <l>Race de trottoir, race d’égout et de fumée !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Enfin un sot, un infatué de ce temps bête</l>
          <l>(Dont l’esprit au fond consiste à boire de la bière)</l>
          <l>Et par-dessus tout une folle tête inquiète,</l>
          <l>Un cœur à tous vents, vraiment mais vilement sincère.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Mais sans doute, et moi j’inclinerai fort à le croire,</l>
          <l>Dans quelque coin bien discret et sûr de ce cœur même,</l>
          <l>Il avait gardé comme qui dirait la mémoire</l>
          <l>D’avoir été ces petits enfants que Jésus aime.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Avait-il, — et c’est vraiment plus vrai que vraisemblable.</l>
          <l>Conservé dans le sanctuaire de sa cervelle</l>
          <l>Votre nom, Marie, et votre titre vénérable,</l>
          <l>Comme un mauvais prêtre ornerait encor sa chapelle ?</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ou tout bonnement peut-être qu’il était encore,</l>
          <l>Malgré tout son vice et tout son crime et tout le reste,</l>
          <l>Cet homme très simple qu’au moins sa candeur décore</l>
          <l>En comparaison d’un monde autour que Dieu déteste.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Toujours est-il que ce grand pécheur eut des conduites</l>
          <l>Folles à ce point d’en devenir trop maladroites,</l>
          <l>Si bien que les tribunaux s’en mirent, — et les suites !</l>
          <l>Et le voyez-vous dans la plus étroite des boîtes ?</l>
        </lg>
        <pb n="15"/>
        <lg>
          <l>Cellules ! Prisons humanitaires ! il faut taire</l>
          <l>Votre horreur fadasse et ce progrès d’hypocrisie...</l>
          <l>Puis il s’attendrit, il réfléchit. Par quel mystère,</l>
          <l>O Marie, ô vous, de toute éternité choisie ?</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Puis il se tourna vers votre Fils et vers Sa mère,</l>
          <l>O qu’il fut heureux, mais là promptement, tout de suite !</l>
          <l>Que de larmes, quelle joie, ô Mère ! et pour vous plaire.</l>
          <l>Tout de suite aussi le voilà qui bien vite quitte</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Tout cet appareil d’orgueil et de pauvres malices,</l>
          <l>Ce qu’on nomme esprit et ce qu’on nomme la Science,</l>
          <l>Et les rires et les sourires où tu te plisses,</l>
          <l>Lèvre des petits exégètes de l’incroyance !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et le voilà qui s’agenouille et, bien humble, égrène</l>
          <l>Entre ses doigts fiers les grains enflammés du Rosaire,</l>
          <l>Implorant de Vous, la Mère, et la Sainte, et la Reine,</l>
          <l>L’affranchissement d’être ce charnel, ô misère !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>O qu’il voudrait bien ne plus savoir rien du monde</l>
          <l>Qu’adorer obscurément la mystique sagesse,</l>
          <l>Qu’aimer le cœur de Jésus dans l’extase profonde</l>
          <l>De penser à vous en même temps pendant la Messe.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>O faites cela, faites cette grâce à cette âme,</l>
          <l>O vous, vierge Mère, ô vous Marie Immaculée,</l>
          <l>Toute en argent parmi l’argent de l’épithalame,</l>
          <l>Qui posez vos pieds sur notre terre consolée.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p4">
        <pb n="16"/>
        <head>BOURNEMOUTH</head>
        <salute>À francis poictevin</salute>
        <lg>
          <l>Le long bois de sapins se tord jusqu’au rivage,</l>
          <l>L’étroit bois de sapins, de lauriers et de pins,</l>
          <l>Avec la ville autour déguisée en village :</l>
          <l>Chalets éparpillés rouges dans le feuillage</l>
          <l>Et les blanches villas des stations de bains.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Le bois sombre descend d’un plateau de bruyère,</l>
          <l>Va, vient, creuse un vallon, puis monte vert et noir</l>
          <l>Et redescend en fins bosquets où la lumière</l>
          <l>Filtre et dore l’obscur sommeil du cimetière</l>
          <l>Qui s’étage bercé d’un vague nonchaloir.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>A gauche la tour lourde (elle attend une flèche)</l>
          <l>Se dresse d’une église invisible d’ici,</l>
          <l>L’estacade très loin ; haute, la tour, et sèche :</l>
          <l>C’est bien l’anglicanisme impérieux et rêche</l>
          <l>A qui l’essor du cœur vers le ciel manque aussi.</l>
        </lg>
        <pb n="17"/>
        <lg>
          <l>Il fait un de ces temps ainsi que je les aime,</l>
          <l>Ni brume ni soleil ! le soleil deviné,</l>
          <l>Pressenti, du brouillard mourant dansant à même</l>
          <l>Le ciel très haut qui tourne et fuit, rose de crème ;</l>
          <l>L’atmosphère est de perle et la mer d’or fané.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>De la tour protestante il part un chant de cloche,</l>
          <l>Puis deux et trois et quatre, et puis huit à la fois,</l>
          <l>Instinctive harmonie allant de proche en proche,</l>
          <l>Enthousiasme, joie, appel, douleur, reproche,</l>
          <l>Avec de l’or, du bronze et du feu dans la voix ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Bruit immense et bien doux que le long bois écoute !</l>
          <l>La musique n’est pas plus belle. Cela vient</l>
          <l>Lentement sur la mer qui chante et frémit toute,</l>
          <l>Comme sous une armée au pas sonne une route</l>
          <l>Dans l’écho qu’un combat d’avant-garde retient.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>La sonnerie est morte. Une rouge traînée</l>
          <l>De grands sanglots palpite et s’éteint sur la mer,</l>
          <l>L’éclair froid d’un couchant de la nouvelle année</l>
          <l>Ensanglante là-bas la ville couronnée</l>
          <l>De nuit tombante et vibre à l’ouest encore clair.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Le soir se fonce. Il fait glacial. L’estacade</l>
          <l>Frissonne et le ressac a gémi dans son bois</l>
          <l>Chanteur, puis est tombé lourdement en cascade</l>
          <pb n="18"/>
          <l>Sur un rythme brutal comme l’ennui maussade</l>
          <l>Qui martelait mes jours coupables d’autrefois :</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Solitude du cœur dans le vide de l’âme,</l>
          <l>Le combat de la mer et des vents de l’hiver,</l>
          <l>L’orgueil vaincu, navré, qui râle et qui déclame,</l>
          <l>Et cette nuit où rampe un guet-apens infâme,</l>
          <l>Catastrophe flairée, avant-goût de l’Enfer...!</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Voici trois tintements comme trois coups de flûtes,</l>
          <l>Trois encor, trois encor ! l’<hi rend="i">Angelus</hi> oublié</l>
          <l>Se souvient, le voici qui dit : Paix à ces luttes !</l>
          <l>Le Verbe s’est fait chair pour relever tes chutes,</l>
          <l>Une vierge a conçu, le monde est délié !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ainsi Dieu parle par la voix de <hi rend="i">sa</hi> chapelle</l>
          <l>Sise à mi-côté à droite et sur le bord du bois...</l>
          <l>O Rome, ô Mère ! Cri, geste qui nous rappelle</l>
          <l>Sans <corr n="cessse">cesse</corr> au bonheur seul et donne au cœur rebelle</l>
          <l>Et triste le conseil pratique de la Croix.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>— La nuit est de velours. L’estacade laissée,</l>
          <l>Tait par degré son bruit sous l’eau qui refluait,</l>
          <l>Une route assez droite heureusement tracée</l>
          <l>Guide jusque chez moi ma retraite pressée</l>
          <l>Dans ce noir absolu sous le long bois muet.</l>
        </lg>
        <dateline>Janvier 1877.</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p5">
        <pb n="19"/>
        <head>THERE</head>
        <salute>À Émile Le Brun</salute>
        <lg>
          <l>« Angels ! » seul coin luisant dans ce Londres du soir,</l>
          <l>Où flambe un peu de gaz et jase quelque foule,</l>
          <l>C’est drôle que, semblable à tel très dur espoir,</l>
          <l>Ton souvenir m’obsède et puissamment enroule</l>
          <l>Autour de mon esprit un regret rouge et noir :</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Devantures, chansons, omnibus et les danses</l>
          <l>Dans le demi-brouillard où flue un goût de rhum,</l>
          <l>Décence, toutefois, le souci des cadences,</l>
          <l>Et même dans l’ivresse un certain décorum.</l>
          <l>Jusqu’à l’heure où la brume et la nuit se font denses.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>« Angels ! » jours déjà loin, soleils morts, flots taris ;</l>
          <l>Mes vieux péchés longtemps ont rôdé par tes voies,</l>
          <l>Tout soudain rougissant, misère ! et tout surpris</l>
          <l>De se plaire vraiment à tes honnêtes joies,</l>
          <l>Eux pour tout le contraire arrivés de Paris !</l>
        </lg>
        <pb n="20"/>
        <lg>
          <l>Souvent l’incompressible Enfance ainsi se joue,</l>
          <l>Fût-ce dans ce rapport infinitésimal,</l>
          <l>Du monstre intérieur qui nous crispe la joue</l>
          <l>Au froid ricanement de la haine et du mal,</l>
          <l>On gonfle notre lèvre amère en lourde moue.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>L’Enfance baptismale émerge du pécheur,</l>
          <l>Inattendue, alerte, et nargue ce farouche</l>
          <l>D’un sourire non sans franchise ou sans fraîcheur,</l>
          <l>Qui vient, quoiqu’il en ait, se poser sur sa bouche</l>
          <l>A lui, par un prodige exquisement vengeur.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>C’est la Grâce qui passe aimable et nous fait signe.</l>
          <l>O la simplicité primitive, elle encor !</l>
          <l>Cher recommencement bien humble ! Fuite insigne</l>
          <l>De l’heure vers l’azur mûrisseur de fruits d’or !</l>
          <l>« Angels ! » ô nom <hi rend="i">revu</hi>, calme et frais comme un cygne !</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p6">
        <pb n="21"/>
        <head>UN CRUCIFIX</head>
        <salute>À Germain Nouveau</salute>
        <byline>Église Saint-Géry, Arras.</byline>
        <lg>
          <l>Au bout d’un bas-côté de l’église gothique,</l>
          <l>Contre le mur qui vient baiser le jour mystique</l>
          <l>D’un long vitrail d’azur et d’or finement roux,</l>
          <l>Le Crucifix se dresse, ineffablement doux,</l>
          <l>Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées,</l>
          <l>Et la gloire d’or sombre en langues échancrées</l>
          <l>Flue autour de la tête et les bras étendus,</l>
          <l>Tels quatre vols de flammes en un seul confondus.</l>
          <l>La statue est en bois, de grandeur naturelle,</l>
          <l>Légèrement teintée, et l’on croirait sur elle</l>
          <l>Voir s’arrêter la vie à l’instant qu’on la voit,</l>
          <l>Merveille d’art pieux, celui qui la fit doit</l>
          <l>N’avoir fait qu’elle et s’être éteint dans la victoire</l>
          <l>D’être un bon ouvrier trois fois sûr de sa gloire.</l>
          <l>« Voilà l’homme ! » Robuste et délicat pourtant.</l>
          <l>C’est bien le corps qu’il faut pour avoir souffert tant,</l>
          <pb n="22"/>
          <l>Et c’est bien la poitrine où bat le Cœur immense :</l>
          <l>Par les lèvres le souffle expirant dit, « Clémence »</l>
          <l>Tant l’artiste les a disjointes saintement,</l>
          <l>Et les bras grands ouverts prouvent le Dieu clément ;</l>
          <l>La couronne d’épine est énorme et cruelle</l>
          <l>Sur le front inclinant sa pâleur fraternelle</l>
          <l>Vers l’ignorance humaine et l’erreur du pécheur,</l>
          <l>Tandis que, pour noyer le scrupule empêcheur</l>
          <l>D’aimer et d’espérer comme la Foi l’enseigne,</l>
          <l>Les pieds saignent, les mains saignent, le côté saigne ;</l>
          <l>On sent qu’il s’offre au Père en toute charité.</l>
          <l>Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté,</l>
          <l>Pour spécialement sauver vos âmes tristes,</l>
          <l>Pharisiens naïfs, sincères jansénistes !</l>
          <l>— Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien</l>
          <l>Et bon poète aussi, — les trois s’accordent bien, —</l>
          <l>Vit cette œuvre sublime et fit une copie</l>
          <l>Exquise, et surprenant mon regard qui l’épie,</l>
          <l>Très gracieusement chez moi vint l’oublier.</l>
          <l>Et j’ai rimé ces vers pour le remercier. —</l>
        </lg>
        <dateline>Août 1880.</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p7">
        <pb n="23"/>
        <head>BALLADE</head>
        <salute>À propos de deux ormeaux qu’il avait</salute>
        <salute>
          <hi rend="i">A Léon Vanier.</hi>
        </salute>
        <lg>
          <l>Mon jardin fut doux et léger.</l>
          <l>Tant qu’il fut mon humble richesse :</l>
          <l>Mi-potager et mi-verger,</l>
          <l>Avec quelque fleur qui se dresse</l>
          <l>Couleur d’amour et d’allégresse,</l>
          <l>Et des oiseaux sur des rameaux,</l>
          <l>Et du gazon pour la paresse.</l>
          <l>Mais rien ne valut mes ormeaux.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>De ma claire salle à manger</l>
          <l>Où du vin fit quelque prouesse,</l>
          <l>Je les voyais tous deux bouger</l>
          <l>Doucement au vent qui les presse</l>
          <l>L’un vers l’autre en une caresse,</l>
          <l>Et leurs feuilles flûtaient des mots.</l>
          <l>Le clos était plein de tendresse.</l>
          <l>Mais rien ne valut mes ormeaux.</l>
        </lg>
        <pb n="24"/>
        <lg>
          <l>Hélas ! quand il fallut changer</l>
          <l>De cieux et quitter ma liesse,</l>
          <l>Le verger et le potager</l>
          <l>Se partagèrent ma tristesse,</l>
          <l>Et la fleur couleur charmeresse,</l>
          <l>Et l’herbe, oreiller de mes maux,</l>
          <l>Et l’oiseau surent ma détresse.</l>
          <l>Mais rien ne valut mes ormeaux.</l>
        </lg>
        <label>Envoi</label>
        <lg>
          <l>Prince, j’ai goûté la simplesse</l>
          <l>De vivre heureux dans vos hameaux :</l>
          <l>Gaîté, santé que rien ne blesse.</l>
          <l>Mais rien ne valut mes ormeaux.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p8">
        <pb n="25"/>
        <head>SUR UN RELIQUAIRE QU’ON LUI AVAIT DÉROBÉ</head>
        <lg>
          <l>Seul bijou de ma pauvreté.</l>
          <l>Ton mince argent, ta perle fausse</l>
          <l>(En tout quatre francs) ont tenté</l>
          <l>Quelqu’un dont l’esprit ne se hausse,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Parmi ces paysans cafards,</l>
          <l>A vous dégoûter d’être au monde.</l>
          <l>— Tas d’Onans et de Putiphars ! —</l>
          <l>Que juste au niveau de l’immonde,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et le Témoin, et le Gardien,</l>
          <l>Le Grain d’une poussière illustre,</l>
          <l>Un ami du mien et du tien</l>
          <l>Crispe sur lui sa main de rustre !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Est-ce simplement un voleur,</l>
          <l>Ou s’il se guinde au sacrilège ?</l>
          <l>Bah ! ces rustiques-là ! Mais leur</l>
          <l>Gros laid vice que rien n’allège,</l>
        </lg>
        <pb n="26"/>
        <lg>
          <l>Ne connaît rien que de brutal</l>
          <l>Et ne s’est jamais douté d’une</l>
          <l>Ame immortelle. Du métal,</l>
          <l>C’est tout ce qu’il voit dans la lune ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Tout ce qu’il voit dans le soleil,</l>
          <l>C’est foin épais et fumier dense,</l>
          <l>Et quand éclot le jour vermeil,</l>
          <l>Il suppute timbre et quittance,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Hypothèque, gens mis dedans,</l>
          <l>Placements, la dot de la fille,</l>
          <l>Crédits ouverts à deux battants</l>
          <l>Et l’usure au bout qui mordille !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Donc, vol, oui, sacrilège, non.</l>
          <l>Mais le fait monstrueux existe,</l>
          <l>Et pour cet ouvrage sans nom</l>
          <l>Mon âme est immensément triste.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>O ! pour lui ramener la paix,</l>
          <l>Daignez, vous, grand saint Benoît Labre,</l>
          <l>Écouter les vœux que je fais</l>
          <l>Peur que ma foi ne se délabre</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>En voyant ce crime impuni</l>
          <l>Rester inutile ! O la Grâce,</l>
          <l>Implorez-la sur l’homme, et ni</l>
          <l>L’homme ni moi n’oublierons. Grâce !</l>
        </lg>
        <pb n="27"/>
        <lg>
          <l>Grâce pour le pauvre larron</l>
          <l>Inconscient du péché pire !</l>
          <l>Intercédez, ô bon patron,</l>
          <l>Et qu’enfin le bon Dieu l’inspire,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Que de ce débris de ce corps</l>
          <l>Exalté par la pénitence</l>
          <l>Sorte une vertu de remords,</l>
          <l>Et que l’exquis conseil le tance</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et lui montre toute l’horreur</l>
          <l>Du vol et de ce vol impie</l>
          <l>Avec la torpeur et l’erreur</l>
          <l>D’un passé qu’il faut qu’il expie.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Qu’il s’émeuve à ce double objet</l>
          <l>Et tremblant au son du tonnerre</l>
          <l>Respecte ce qu’il outrageait</l>
          <l>En attendant qu’il le vénère.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et que cette conversion</l>
          <l>L’amène à la foi de ses pères</l>
          <l>D’avant la Révolution.</l>
          <l>Ma Foi, dis-le-moi, tu l’espères ?</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ma foi, celle du charbonnier,</l>
          <l>Ainsi la veux-je, et la souhaite</l>
          <l>Au possesseur, croyons dernier,</l>
          <l>De la sainte petite boîte.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p9">
        <pb n="28"/>
        <head>A MADAME X... EN LUI ENVOYANT UNE PENSÉE</head>
        <lg>
          <l>Au temps où vous m’aimiez (bien sûr ?),</l>
          <l>Vous m’envoyâtes, fraîche éclose,</l>
          <l>Une chère petite rose,</l>
          <l>Frais emblème, message pur.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Elle disait en son langage</l>
          <l>Les « serments du premier amour » :</l>
          <l>Votre cœur à moi pour toujours</l>
          <l>Et toutes les choses d’usage.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Trois ans sont passés. Nous voilà !</l>
          <l>Mais moi j’ai gardé la mémoire</l>
          <l>De votre rose, et c’est ma gloire</l>
          <l>De penser encore à cela.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Hélas ! si j’ai la souvenance,</l>
          <l>Je n’ai plus la fleur, ni le cœur,</l>
          <l>Elle est aux quatre vents, la fleur.</l>
          <l>Le cœur ? mais, voici que j’y pense,</l>
        </lg>
        <pb n="29"/>
        <lg>
          <l>Fut-il mien jamais ? entre nous ?</l>
          <l>Moi, le mien bat toujours le même,</l>
          <l>Il est toujours simple. Un emblème</l>
          <l>A mon tour. Dites, voulez-vous</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Que, tout pesé, je vous envoie,</l>
          <l>Triste sélam, mais c’est ainsi,</l>
          <l>Cette pauvre négresse-ci ?</l>
          <l>Elle n’est pas couleur de joie,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Mais elle est couleur de mon cœur ;</l>
          <l>Je l’ai cueillie à quelque fente</l>
          <l>Du pavé captif que j’arpente</l>
          <l>En ce lieu de juste douleur.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>A-t-elle besoin d’autres preuves ?</l>
          <l>Acceptez-la pour le plaisir.</l>
          <l>J’ai tant fait que de la cueillir,</l>
          <l>Et c’est presque une fleur-des-veuves.</l>
        </lg>
        <dateline>1873</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p10">
        <pb n="30"/>
        <head>UN VEUF PARLE</head>
        <lg>
          <l>Je vois un groupe sur la mer.</l>
          <l>Quelle mer ? Celle de mes larmes.</l>
          <l>Mes yeux mouillés du vent amer</l>
          <l>Dans cette nuit d’ombre et d’alarmes</l>
          <l>Sont deux étoiles sur la mer.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>C’est une toute jeune femme</l>
          <l>Et son enfant déjà tout grand</l>
          <l>Dans une barque <corr n="ou">où</corr> nul ne rame,</l>
          <l>Sans mât ni voile, en plein courant...</l>
          <l>Un jeune garçon, une femme !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>En plein courant dans l’ouragan !</l>
          <l>L’enfant se cramponne à sa mère</l>
          <l>Qui ne sait plus où, non plus qu’en...,</l>
          <l>Ni plus rien, et qui, folle, espère</l>
          <l>En le courant, en l’ouragan.</l>
        </lg>
        <pb n="31"/>
        <lg>
          <l>Espérez en Dieu, pauvre folle,</l>
          <l>Crois en notre Père, petit.</l>
          <l>La tempête qui vous désole,</l>
          <l>Mon cœur de là-haut vous prédit</l>
          <l>Qu’elle va cesser, petit, folle !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et paix au groupe sur la mer,</l>
          <l>Sur cette mer de bonnes larmes !</l>
          <l>Mes yeux joyeux dans le ciel clair ;</l>
          <l>Par cette nuit sans plus d’alarmes,</l>
          <l>Sont deux bons anges sur la mer.</l>
        </lg>
        <dateline>1878</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p11">
        <pb n="32"/>
        <head>IL PARLE ENCORE</head>
        <lg>
          <l>Ni pardon ni répit, dit le monde,</l>
          <l>Plus de place au sénat du loisir !</l>
          <l>On rend grâce et justice au désir</l>
          <l>Qui te prend d’une paix si profonde,</l>
          <l>Et l’on eût fait trêve avec plaisir,</l>
          <l>Mais la guerre est jalouse : il faut vivre</l>
          <l>Ou mourir du combat qui t’enivre.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Aussi bien tes vœux sont absolus</l>
          <l>Quand notre art est un mol équilibre.</l>
          <l>Nous donnons un sens large au mot : libre,</l>
          <l>Et ton sens va : Vite ou jamais plus.</l>
          <l>Ta prière est un ordre qui vibre ;</l>
          <l>Alors nous, indolents conseilleurs,</l>
          <l>Que te dire, excepté : Cherche ailleurs ?</l>
        </lg>
        <pb n="33"/>
        <lg>
          <l>Et je vois l’Orgueil et la Luxure</l>
          <l>Parmi la réponse : tel un cor</l>
          <l>Dans l’éclat fané d’un vil décor,</l>
          <l>Prêtant sa rage à la flûte impure.</l>
          <l>Quel décor connu mais triste encor !</l>
          <l>C’est la ville où se caille et se lie</l>
          <l>Ce passé qu’on boit jusqu’à la lie,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>C’est Paris banal, maussade et blanc,</l>
          <l>Qui chantonne une ariette vieille</l>
          <l>En cuvant sa « noce » de la veille</l>
          <l>Comme un invalide sur un banc.</l>
          <l>La Luxure me dit à l’oreille :</l>
          <l>Bonhomme, on vous a déjà donné.</l>
          <l>Et l’Orgueil se tait comme un damné.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>O Jésus, vous voyez que la porte</l>
          <l>Est fermée au Devoir qui frappait,</l>
          <l>Et que l’on s’écarte à mon aspect.</l>
          <l>Je n’ai plus qu’à prier pour la morte.</l>
          <l>Mais l’agneau, bénissez qui le paît !</l>
          <l>Que le thym soit doux à sa bouchette !</l>
          <l>Que le loup respecte la houlette !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et puis, bon pasteur, paissez mon cœur :</l>
          <l>Il est seul désormais sur la terre,</l>
          <l>Et l’horreur de rester solitaire</l>
          <l>Le distrait en l’étrange langueur</l>
          <pb n="34"/>
          <l>D’un espoir qui ne veut pas se taire,</l>
          <l>Et l’appelle aux prés qu’il ne faut pas.</l>
          <l>Donnez-lui de n’aller qu’en vos pas.</l>
        </lg>
        <dateline>1879.</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p12">
        <pb n="35"/>
        <head>BALLADE</head>
        <head rend="sc">en rêve</head>
        <salute>
          <hi rend="i">Au D<hi rend="sup">r</hi> Louis Jullien.</hi>
        </salute>
        <lg>
          <l>J’ai rêvé d’elle, et nous nous pardonnions</l>
          <l>Non pas nos torts, il n’en est en amour,</l>
          <l>Mais l’absolu de nos opinions</l>
          <l>Et que la vie ait pour nous pris ce tour.</l>
          <l>Simple elle était comme au temps de ma cour,</l>
          <l>Simple elle était comme au temps de ma cour.</l>
          <l>En robe grise et verte et voilà tout.</l>
          <l>J’aimai toujours les femmes dans ce goût.</l>
          <l>Et son langage était sincère et coi.</l>
          <l>Mais quel émoi de me dire au débout :</l>
          <l>J’ai rêvé d’elle et pas elle de moi.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Elle ni moi nous ne nous résignions</l>
          <l>A plus souffrir pas plus tard que ce jour.</l>
          <l>O ! nous revoir encore compagnons,</l>
          <l>Chacun étant descendu de sa tour</l>
          <l>Pour un baiser bien payé de retour !</l>
          <pb n="36"/>
          <l>Le beau projet ! Et nous étions debout,</l>
          <l>Mais dans la main, avec du sang qui bout</l>
          <l>Et chante un fier <hi rend="i">donec gratus.</hi> Mais quoi ?</l>
          <l>C’était un songe, ô tristesse et dégoût !</l>
          <l>J’ai rêvé d’elle et pas elle de moi.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et nous suivions tes luisants fanions,</l>
          <l>Soie et satin, ô Bonheur vainqueur, pour</l>
          <l>Jusqu’à la mort, que d’ailleurs nous niions.</l>
          <l>J’allais par les chemins en troubadour,</l>
          <l>Chantant, ballant, sans craindre ce pandour,</l>
          <l>Qui vous saute à la gorge et vous découd.</l>
          <l>Elle évoquait la chère nuit d’Août</l>
          <l>Où son aveu bas et lent me fit roi.</l>
          <l>Moi, j’adorais ce retour qui m’absout.</l>
          <l>J’ai rêvé d’elle et pas elle de moi.</l>
        </lg>
        <label>Envoi</label>
        <lg>
          <l>Princesse elle est sans doute à l’autre bout</l>
          <l>Du monde où règne et persiste ma foi.</l>
          <l><hi rend="i">Amen,</hi> alors, puisqu’à mes dam et coût</l>
          <l>J’ai rêvé d’elle et pas elle de moi.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p13">
        <pb n="37"/>
        <head>ADIEU</head>
        <lg>
          <l>Hélas ! je n’étais pas fait pour cette haine</l>
          <l>Et pour ce mépris plus forts que moi que j’ai.</l>
          <l>Mais pourquoi m’avoir fait cet agneau sans laine</l>
          <l>Et pourquoi m’avoir fait ce cœur outragé ?</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>J’étais né pour plaire à toute âme un peu fière,</l>
          <l>Sorte d’homme en rêve et capable du mieux,</l>
          <l>Parfois tout sourire et parfois tout prière,</l>
          <l>Et toujours des cieux attendris dans les yeux ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Toujours la bonté des caresses sincères,</l>
          <l>En dépit de tout et quoi qu’il y parût,</l>
          <l>Toujours la pudeur des hontes nécessaires</l>
          <l>Dans l’argent brutal et les stupeurs du rut ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Toujours le pardon, toujours le sacrifice !</l>
          <l>J’eus plus d’un des torts, mais j’avais tous les soins.</l>
          <l>Votre mère était tendrement ma complice,</l>
          <l>Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins.</l>
        </lg>
        <pb n="38"/>
        <lg>
          <l>Elle n’aimait pas que par vous je souffrisse.</l>
          <l>Elle est morte et j’ai porté sur son tombeau ;</l>
          <l>Mais je doute fort qu’elle approuve et bénisse</l>
          <l>La chose actuelle et trouve cela beau.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et j’ai peur aussi, nous en terre, de croire</l>
          <l>Que le pauvre enfant, votre fils et le mien,</l>
          <l>Ne vénérera pas trop votre mémoire,</l>
          <l>O vous sans égard pour le mien et le tien,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Je n’étais pas fait pour dire de ces choses,</l>
          <l>Moi dont la parole exhalait autrefois</l>
          <l>Un épithalame en des apothéoses,</l>
          <l>Ce chant du matin où mentait votre voix.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>J’étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes,</l>
          <l>Pour les consoler un peu d’un monde impur,</l>
          <l>Cimier d’or chanteur et tunique de flammes,</l>
          <l>Moi le Chevalier qui saigne sur azur,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Moi qui dois mourir d’une mort douce et chaste</l>
          <l>Dont le cygne et l’aigle encor seront jaloux,</l>
          <l>Dans l’honneur vainqueur malgré ce vous néfaste,</l>
          <l>Dans la gloire aussi des Illustres Époux !</l>
        </lg>
        <dateline>Novembre 1886.</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p14">
        <pb n="39"/>
        <head>BALLADE EN L’HONNEUR DE LOUISE MICHEL</head>
        <lg>
          <l>Madame et Pauline Roland,</l>
          <l>Charlotte, Théroigne, Lucile,</l>
          <l>Presque Jeanne d’Arc, étoilant</l>
          <l>Le front de la foule imbécile,</l>
          <l>Nom des cieux, cœur divin qu’exile</l>
          <l>Cette espèce de moins que rien</l>
          <l>France bourgeoise au dos facile,</l>
          <l>Louise Michel est très bien.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Elle aime le Pauvre âpre et franc</l>
          <l>Ou timide, elle est la faucille</l>
          <l>Dans le blé mûr pour le pain blanc</l>
          <l>Du Pauvre, et la sainte Cécile,</l>
          <l>Et la Muse rauque et gracile</l>
          <l>Du Pauvre et son ange gardien</l>
          <l>A ce simple, à cet indocile.</l>
          <l>Louise Michel est très bien.</l>
        </lg>
        <pb n="40"/>
        <lg>
          <l>Gouvernements de maltalent,</l>
          <l>Mégathérium ou baccille,</l>
          <l>Soldat brut, robin insolent,</l>
          <l>Ou quelque compromis fragile,</l>
          <l>Géant de boue aux pieds d’argile,</l>
          <l>Tout cela son courroux chrétien</l>
          <l>L’écrase d’un mépris agile.</l>
          <l>Louise Michel est très bien.</l>
        </lg>
        <label>Envoi</label>
        <lg>
          <l>Citoyenne ! votre évangile</l>
          <l>On meurt pour ! c’est l’Honneur ! et bien</l>
          <l>Loin des Taxil et des Bazile,</l>
          <l>Louise Michel est très bien.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p15">
        <pb n="41"/>
        <head>A LOUIS II DE BAVIÈRE</head>
        <lg>
          <l>Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire,</l>
          <l>Qui voulûtes mourir vengeant votre raison</l>
          <l>Des choses de la politique, et du délire</l>
          <l>De cette Science intruse dans la maison.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>De cette Science assassin de l’Oraison</l>
          <l>Et du Chant et de l’Art et de toute la Lyre,</l>
          <l>Et simplement et plein d’orgueil en floraison</l>
          <l>Tuâtes en mourant, salut, Roi, bravo, Sire !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi</l>
          <l>De ce siècle où les rois se font si peu de chose,</l>
          <l>Et le martyr de la Raison selon la Foi.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Salut à votre très unique apothéose,</l>
          <l>Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer,</l>
          <l>Sur un air magnifique et joyeux de Wagner.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p16">
        <pb n="42"/>
        <head>PARSIFAL</head>
        <salute>À jules tellier</salute>
        <lg>
          <l>Parsifal a vaincu les Filles, leur gentil</l>
          <l>Babil et la luxure amusante — et sa pente</l>
          <l>Vers la Chair de garçon vierge que cela tente</l>
          <l>D’aimer les seins légers et ce gentil babil ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Il a vaincu la Femme belle, au cœur subtil,</l>
          <l>Étalant ses bras frais et sa gorge excitante ;</l>
          <l>Il a vaincu l’Enfer et rentre sous la tente</l>
          <l>Avec un lourd trophée à son bras puéril,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Avec la lance qui perça le Flanc suprême !</l>
          <l>Il a guéri le roi, le voici roi lui-même,</l>
          <l>Et prêtre du très saint Trésor essentiel.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>En robe d’or il adore, gloire et symbole,</l>
          <l>Le vase pur où resplendit le sang réel.</l>
          <l>— Et, ô ces voix d’enfants chantant dans la coupole !</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p17">
        <pb n="43"/>
        <head>SAINT GRAAL</head>
        <salute>À Léon Bloy</salute>
        <lg>
          <l>Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons,</l>
          <l>Mon immense douleur s’enivrer d’espérance.</l>
          <l>En vain l’heure honteuse ouvre des trous profonds,</l>
          <l>En vain bâillent sous nous les désatres sans fonds</l>
          <l>Pour engloutir l’abus de notre âpre souffrance,</l>
          <l>Le sang de Jésus-Christ ruisselle sur la France.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Le précieux Sang coule à flots de ses autels</l>
          <l>Non encor renversés, et coulerait encore</l>
          <l>Le fussent-ils, et quand nos malheurs seraient tels</l>
          <l>Que les plus forts, cédant à ces effrois mortels,</l>
          <l>Eux-mêmes subiraient la loi qui déshonore,</l>
          <l>De l’ombre des cachots il jaillirait encore,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Il coulerait encor des pierres des cachots,</l>
          <l>Descellerait l’horreur des ciments, doux et rouge</l>
          <l>Suintement, torrent patient d’oraisons,</l>
          <l>D’expiation forte et de bonnes raisons</l>
          <pb n="44"/>
          <l>Contre les lâchetés et les « feux sur qui bouge » !</l>
          <l>Et toute guillotine et cette Gueuse rouge... !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Torrent d’amour du Dieu d’amour et de douceur,</l>
          <l>Fût-ce parmi l’horreur de ce monde moqueur,</l>
          <l>Fleuve rafraîchissant du feu qui désaltère,</l>
          <l>Source vive où s’en vient ressusciter le cœur</l>
          <l>Même de l’assassin, même de l’adultère,</l>
          <l>Salut de la patrie, ô sang qui désaltère !</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p18">
        <pb n="45"/>
        <head>« GAIS ET CONTENTS »</head>
        <salute>À Charles Vesseron</salute>
        <lg>
          <l>Une chanson folle et légère</l>
          <l>Comme le drapeau tricolore</l>
          <l>Court furieusement dans l’air,</l>
          <l>Fifrant une France âpre encore.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Sa gaîté qui rit d’elle-même</l>
          <l>Et du reste en passant se moque</l>
          <l>Pourtant veut bien dire : Tandem !</l>
          <l>Et vaticine le grand choc.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Écoutez ! le flonflon se pare</l>
          <l>Des purs accents de la Patrie,</l>
          <l>Espèce de chant du départ</l>
          <l>Du gosse effrayant de Paris.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Il est le rythme, il est la joie,</l>
          <l>Il est la Revanche essayée,</l>
          <l>Il est l’entrain, il est tout, quoi !</l>
          <l>Jusqu’au juron luron qui sied,</l>
        </lg>
        <pb n="46"/>
        <lg>
          <l>Jusqu’au cri de reconnaissance</l>
          <l>Qu’on pousse quand il faut qu’on meure</l>
          <l>De sang-froid, dans tout son bon sens,</l>
          <l>Avec de l’honneur plein son cœur !</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p19">
        <pb n="47"/>
        <head>A FERNAND LANGLOIS</head>
        <lg>
          <l>Vous vous êtes penché sur ma mélancolie,</l>
          <l>Non comme un indiscret, non comme un curieux,</l>
          <l>Et vous avez surpris la clef de ma folie,</l>
          <l>Tel un consolateur attentif et pieux ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et vous avez ouvert doucement ma serrure,</l>
          <l>Y mettant tout le temps, non ainsi qu’un voleur,</l>
          <l>Mais ainsi que quelqu’un qui préserve et rassure</l>
          <l>Un triste possesseur peut-être recèleur.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Soyez aimé d’un cœur plus veuf que toutes veuves,</l>
          <l>Qui n’avait plus personne en qui pleurer vraiment,</l>
          <l>Soyez béni d’une âme errant au bord des fleuves</l>
          <l>Consolateurs si mal avec leur air dormant ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Que soient suivis des pas d’un but à la dérive</l>
          <l>Hier encor, vos pas eux-mêmes tristes, ô</l>
          <l>Si tristes, mais que si bien tristes ! et que vive</l>
          <l>Encore, alors ! mais par vous pour Dieu, ce roseau,</l>
        </lg>
        <pb n="48"/>
        <lg>
          <l>Cet oiseau, ce roseau sous cet oiseau, ce blême</l>
          <l>Oiseau sur ce pâle roseau fleuri jadis,</l>
          <l>Et pâle et sombre, spectre et spectre noir : Moi-même !</l>
          <l><hi rend="i">Surrexit hodie</hi>, non plus : <hi rend="i">de profundis.</hi></l>
        </lg>
        <lg>
          <l><hi rend="i">Fiat !</hi> La défaillance a fini. Le courage</l>
          <l>Revient. Sur votre bras permettez qu’appuyé</l>
          <l>Je marche en la fraîcheur de l’expirant orage,</l>
          <l>Moi-même comme qui dirait défoudroyé.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Là, je vais mieux. Tantôt le calme s’en va naître.</l>
          <l>Il naît. Si vous voulez, allons à petits pas,</l>
          <l>Devisant de la vie et d’un bonheur peut-être</l>
          <l>Non, sans doute, impossible, en somme, n’est-ce pas ?</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Oui, causons de bonheur, mais vous ? pourquoi si triste,</l>
          <l>Vous aussi ? Vous si jeune et si triste, ô pourquoi,</l>
          <l>Dites ? Mais cela vous regarde ; et si j’insiste,</l>
          <l>C’est uniquement pour vous plaire et non pour moi.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Discrétion sans borne, immense sympathie !</l>
          <l>C’est l’heure précieuse, elle est unique, elle est</l>
          <l>Angélique. Tantôt l’avez-vous pressentie ?</l>
          <l>Avez-vous comme su — moi je l’ai — qu’il fallait</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Peut-être bien, sans doute, et quoique, et puisque, en somme</l>
          <l>Éprouvant tant d’estime et combien de pitié,</l>
          <l>Laissez monter en nous, fleur suprême de l’homme,</l>
          <l>Franchement, largement, simplement, l’Amitié.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p20">
        <pb n="49"/>
        <head>DÉLICATESSE</head>
        <salute>À Mademoiselle Rachilde</salute>
        <lg>
          <l>Tu nous rends l’égal des héros et des dieux,</l>
          <l>Et, nous procurant d’être les seuls dandies,</l>
          <l>Fais de nos orgueils des sommets radieux,</l>
          <l>Non plus ces foyers de troubles incendies.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Tu brilles et luis, vif astre aux rayons doux,</l>
          <l>Sur l’horizon noir d’une lourde tristesse.</l>
          <l>Par toi surtout nous plaisons au Dieu jaloux,</l>
          <l>Choisie, une, fleur du Bien, Délicatesse !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Plus fière fierté, plus pudique pudeur</l>
          <l>Qui ne sais rougir à force d’être fière,</l>
          <l>Qui ne peux que vaincre en ta sereine ardeur,</l>
          <l>Vierge ayant tout su, très paisible guerrière.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Musique pour l’âme et parfum pour l’esprit,</l>
          <l>Vertu qui n’es qu’un nom, mais le nom d’un ange,</l>
          <l>Noble dame guidant au ciel qui sourit</l>
          <l>Notre immense effort de parmi cette fange.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p21">
        <pb n="50"/>
        <head>ANGÉLUS DE MIDI</head>
        <lg>
          <l>Je suis dur comme un juif et têtu comme lui,</l>
          <l>Littéral, ne faisant le bien qu’avec ennui,</l>
          <l>Quand je le fais, et prêt à tout le mal possible ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Mon esprit s’ouvre et s’offre, on dirait une cible ;</l>
          <l>Je ne puis plus compter les chutes de mon cœur ;</l>
          <l>La charité se fane aux doigts de la langueur ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>L’ennemi m’investit d’un fossé d’eau dormante ;</l>
          <l>Un parti de mon être a peur et parlemente :</l>
          <l>Il me faut à tout prix un secours prompt et fort.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ce fort secours, c’est vous, maîtresse de la mort</l>
          <l>Et reine de la vie, ô Vierge immaculée,</l>
          <l>Qui tendez vers Jésus la Face constellée</l>
          <l>Pour lui montrer le Sein de toutes les douleurs</l>
          <l>Et tendez vers nos pas, vers nos ris, vers nos pleurs</l>
          <pb n="51"/>
          <l>Et vers nos vanités douloureuses les paumes</l>
          <l>Lumineuses, les Mains répandeuses de baumes.</l>
          <l>Marie, ayez pitié de moi qui ne vaux rien</l>
          <l>Dans le chaste combat du Sage et du Chrétien ;</l>
          <l>Priez pour mon courage et pour qu’il persévère,</l>
          <l>Pour de la patience, en cette longue guerre,</l>
          <l>A supporter le froid et le chaud des saisons ;</l>
          <l>Écartez le fléau des mauvaises raisons ;</l>
          <l>Rendez-moi simple et fort, inaccessible aux larmes,</l>
          <l>Indomptable à la peur ; mettez-moi sous les armes,</l>
          <l>Que j’écrase, puisqu’il le faut, et broie enfin</l>
          <l>Tous les vains appétits, et la soif et la faim,</l>
          <l>Et l’amour sensuel, cette chose cruelle,</l>
          <l>Et la haine encore plus cruelle et sensuelle,</l>
          <l>Faites-moi le soldat rapide de vos vœux,</l>
          <l>Que pour obéir soit le rien que je peux.</l>
          <l>Que ce que vous voulez soit tout ce que je puisse !</l>
          <l>J’immolerai comme en un calme sacrifice</l>
          <l>Sur votre autel honni jadis, baisé depuis,</l>
          <l>Le mauvais que je fus, le lâche que je suis.</l>
          <l>La sale vanité de l’or qu’on a, l’envie</l>
          <l>D’en avoir mais pas pour le Pauvre, cette vie</l>
          <l>Pour soi, quel soi ! l’affreux besoin de plaire aux gens,</l>
          <l>L’affreux besoin de plaire aux gens trop indulgents,</l>
          <l>Hommes prompts aux complots, femmes tôt adultères,</l>
          <l>Tous préjugés, mourez sous mes mains militaires !</l>
          <l>Mais pour qu’un bien beau fruit récompense ma paix,</l>
          <l>Fleurissent dans tout moi la fleur des divins Mais,</l>
          <pb n="52"/>
          <l>Votre amour, Mère tendre, et votre culte tendre.</l>
          <l>Ah ! vous aimer, n’aimer Dieu que pour vous, ne tendre</l>
          <l>A lui qu’en vous sans plus aucun détour subtil,</l>
          <l>Et mourir avec vous tout près.</l>
          <l part="F">Ainsi soit-il !</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p22">
        <pb n="53"/>
        <head>A LÉON VALADE</head>
        <lg>
          <l>Douze longs ans ont lui depuis les jours si courts</l>
          <l>Où le même devoir nous tenait côte à côte !</l>
          <l>Hélas ! les passions dont mon cœur s’est fait l’hôte</l>
          <l>Furieux ont troublé ma paix de ces bons jours ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et j’ai couru bien loin de nos calmes séjours</l>
          <l>Au pourchas du Bonheur, ne trouvant que la Faute ;</l>
          <l>Le vaste monde autour de ma fuite trop haute</l>
          <l>Fondait en vains aspects, ronflait en vains discours...</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>— L’Orgueil, fol hippogriffe, a replié ses ailes ;</l>
          <l>Un cœur nouveau fleurit au feu des humbles zèles</l>
          <l>Dans mon sein visité par la foudre de Dieu.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Mais l’antique amitié, simple, joyeuse, exacte,</l>
          <l>Pendant tout mon désastre, à toute heure, en tout lieu,</l>
          <l>— J’en suis fier, mon Valade, — entre nous tint ce pacte.</l>
        </lg>
        <dateline>1881.</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p23">
        <pb n="54"/>
        <head>A ERNEST DELAHAYE</head>
        <lg>
          <l>Dieu, nous voulant amis parfaits, nous fit tous deux</l>
          <l>Gais de cette gaîté qui rit pour elle-même,</l>
          <l>De ce rire absolu, colossal et suprême,</l>
          <l>Qui s’esclaffe de tous et ne blesse aucun d’eux.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Tous deux nous ignorons l’égoïsme hideux</l>
          <l>Qui nargue ce prochain même qu’il faut qu’on aime</l>
          <l>Comme soi-même : tels que les termes du problème,</l>
          <l>Telle la loi totale au texte non douteux.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et notre rire étant celui de l’innocence,</l>
          <l>Il éclate et rugit dans la toute-puissance</l>
          <l>D’un bon orage plein de lumière et d’air frais.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Pour le soin du Salut, qui me pique et m’inspire,</l>
          <l>J’estime que, parmi nos façons d’être prêts,</l>
          <l>Il nous faut mettre au rang des meilleures ce rire.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p24">
        <pb n="55"/>
        <head>A ÉMILE BLÉMONT</head>
        <lg>
          <l>La vindicte bourgeoise assassinait mon nom</l>
          <l>Chinoisement, à coups d’épingle, quelle affaire !</l>
          <l>Et la tempête allait plus âpre dans mon verre.</l>
          <l>D’ailleurs du <hi rend="i">seul</hi> grief, Dieu bravé, pas un non,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Pas un oui, pas un mot ! L’Opinion sévère</l>
          <l>Mais juste s’en moquait, autant qu’une guenon</l>
          <l>De noix vides. Ce bœuf bavant sur son fanon,</l>
          <l>Le Public mâchonnait ma gloire... encore à faire.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>L’heure était tentatrice, et plusieurs d’entre ceux</l>
          <l>Qui m’aimaient, en dépit de Prudhomme complice,</l>
          <l>Tournèrent carrément, furent de mon supplice,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ou se turent, la Peur les trouvant paresseux.</l>
          <l>Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave,</l>
          <l>F<hi rend="sc">idèle</hi> : et dans un cœur bien fait cela se grave.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p25">
        <pb n="56"/>
        <head>A CHARLES DE SIVRY</head>
        <lg>
          <l>Mon Charles, autrefois mon frère, et pardieu bien !</l>
          <l>Encore tel malgré toutes les lois ensemble,</l>
          <l>Te souvient-il d’un amoureux qui n’ose et tremble</l>
          <l>Et verse le secret de son cœur dans le tien ?</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Ah ! de vivre ? Et te souvient-il du fameux Sage,</l>
          <l>Austère avec douceur, en route, croyait-il,</l>
          <l>Pour un beau Bethléem littéral et subtil,</l>
          <l>Entre un berger naïf et quelque très haut mage ?</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>— L’amoureux est un veuf orgueilleux. Ah ! de vivre !</l>
          <l>Le sage a suspendu son haleine et son livre,</l>
          <l>N’aspirant plus en Dieu que par la bonne mort.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et pourtant, pourtant comme ils sont toujours le même</l>
          <l>Homme du chaste espoir de justes noces qu’aime</l>
          <l>Ou non celle qui sous sa tombe d’oubli dort !</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p26">
        <pb n="57"/>
        <head>A EMMANUEL CHABRIER</head>
        <lg>
          <l>Chabrier, nous faisions, un ami cher et moi.</l>
          <l>Des paroles pour vous qui leur donniez des ailes,</l>
          <l>Et tous trois frémissions quand, pour bénir nos zèles,</l>
          <l>Passait l’Ecce Deus et le Je ne sais quoi.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Chez ma mère charmante et divinement bonne,</l>
          <l>Votre génie improvisait au piano,</l>
          <l>Et c’était tout autour comme un brûlant anneau</l>
          <l>De sympathie et d’aise aimable qui rayonne.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Hélas ! ma mère est morte et l’ami cher est mort.</l>
          <l>Et me voici semblable au chrétien près du port,</l>
          <l>Qui surveille les tout derniers écueils du monde,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Non toutefois sans saluer à l’horizon,</l>
          <l>Comme une voile sur le large au blanc frisson,</l>
          <l>Le souvenir des frais instants de paix profonde.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p27">
        <pb n="58"/>
        <head>A EDMOND THOMAS</head>
        <lg>
          <l>Mon ami, vous m’avez, quoiqu’encore si jeune,</l>
          <l>Vu déjà bien divers, mais ondoyant jamais !</l>
          <l>Direct et bref, oui : tels les Juin suivent les Mais,</l>
          <l>Ou comme un affamé de la veille déjeune.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Homme de primesaut et d’excès, je le suis,</l>
          <l>D’aventure et d’erreur, allons, je le concède,</l>
          <l>Soit, bien, mais illogique ou mol ou lâche ou tiède</l>
          <l>En quoi que ce soit, le dire, je ne le puis,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Je ne le dois ! Et ce serait le plus impie</l>
          <l>Péché contre le Saint-Esprit que rien n’expie,</l>
          <l>Pour ma foi que l’amour éclaire de son feu,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et pour mon cœur d’or pur le mensonge suprême,</l>
          <l>Puisqu’il n’est de justice, après l’église et Dieu,</l>
          <l>Que celle qu’on se fait, à confesse, soi-même.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p28">
        <pb n="59"/>
        <head>A CHARLES MORICE</head>
        <lg>
          <l>Impérial, royal, sacerdotal, comme une</l>
          <l>République Française en ce Quatre-vingt-treize,</l>
          <l>Brûlant empereur, roi, prêtre dans sa fournaise,</l>
          <l>Avec la danse, autour, de la grande Commune ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>L’étudiant et sa guitare et sa fortune</l>
          <l>A travers les décors d’une Espagne mauvaise</l>
          <l>Mais blanche de pieds nains et noire d’yeux de braise,</l>
          <l>Héroïque au soleil et folle sous la lune ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Néoptolème, âme charmante et chaste tête,</l>
          <l>Dont je serais en même temps le Philoctète</l>
          <l>Au cœur ulcéré plus encor que sa blessure,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et, pour un conseil froid et bon parfois, l’Ulysse ;</l>
          <l>Artiste pur, poète où la gloire s’assure ;</l>
          <l>Cher aux femmes, cher aux lettres, Charles Morice !</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p29">
        <pb n="60"/>
        <head>A MAURICE DU PLESSYS</head>
        <lg>
          <l>Je vous prends à témoin entre tous mes amis,</l>
          <l>Vous qui m’avez connu dès l’extrême infortune,</l>
          <l>Que je fus digne d’elle, à Dieu seul tout soumis,</l>
          <l>Sans criard désespoir ni jactance importune,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Simple dans mon mépris pour des revanches viles</l>
          <l>Et dans l’immense effort en détournant leurs coups,</l>
          <l>Calme à travers ces sortes de guerres civiles</l>
          <l>Où la Faim et l’Honneur eurent leurs tours jaloux,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et, n’est-ce pas, bon juge, et fier ! mon du Plessys,</l>
          <l>Qu’en l’amer combat que la gloire revendique</l>
          <l>L’Honneur a triomphé de sorte magnifique ?</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Aimez-moi donc, aimez quels que soient les soucis</l>
          <l>Plissant parfois mon front et crispant mon sourire,</l>
          <l>Ma haute pauvreté plus chère qu’un empire.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p30">
        <pb n="61"/>
        <head>A PROPOS D’UN « CENTENAIRE » DE CALDERON</head>
        <head>(1600-1681)</head>
        <salute>À Jose Maria de Heredia</salute>
        <lg>
          <l>Ce poète terrible et divinement doux,</l>
          <l>Plus large que Corneille et plus haut que Shakspeare,</l>
          <l>Grand comme Eschyle avec ce souffle qui l’inspire,</l>
          <l>Ce Calderon mystique et mythique est à nous.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Oui cette gloire est nôtre, et nous voici jaloux</l>
          <l>De le dire bien haut à ce siècle en délire :</l>
          <l>Calderon, catholique avant tout, noble lyre</l>
          <l>Et saints accents, et bon catholique avant tous,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Salut ! Et qu’est ce bruit fâcheux d’académies,</l>
          <l>De concours, de discours, autour de ce grand mort</l>
          <l>En éveil parmi tant de choses endormies ?</l>
        </lg>
        <pb n="62"/>
        <lg>
          <l>Laissez rêver, laissez penser son Œuvre fort</l>
          <l>Qui plane, loin d’un siècle impie et ridicule,</l>
          <l>Au-dessus, au-delà des colonnes d’Hercule !</l>
        </lg>
        <dateline>Mai 1881.</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p31">
        <pb n="63"/>
        <head>À VICTOR HUGO</head>
        <salute>en lui envoyant « Sagesse »</salute>
        <lg>
          <l>Nul parmi vos flatteurs d’aujourd’hui n’a connu</l>
          <l>Mieux que moi la fierté d’admirer votre gloire :</l>
          <l>Votre nom m’enivrait comme un nom de victoire,</l>
          <l>Votre œuvre, je l’aimais d’un amour ingénu.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Depuis, la Vérité m’a mis le monde à nu.</l>
          <l>J’aime Dieu, son Église, et ma vie est de croire</l>
          <l>Tout ce que vous tenez, hélas ! pour dérisoire,</l>
          <l>Et j’abhorre en vos vers le Serpent reconnu.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>J’ai changé. Comme vous. Mais d’une autre manière.</l>
          <l>Tout petit que je suis j’avais aussi le droit</l>
          <l>D’une évolution, la bonne, la dernière.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Or, je sais la louange, ô maître, que vous doit</l>
          <l>L’enthousiasme ancien ; la voici franche, pleine,</l>
          <l>Car vous me fûtes doux en des heures de peine.</l>
        </lg>
        <dateline>1881.</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p32">
        <pb n="64"/>
        <head>SAINT BENOIT-JOSEPH LABRE</head>
        <label rend="sc">jour de la canonisation</label>
        <lg>
          <l>Comme l’Église est bonne en ce siècle de haine,</l>
          <l>D’orgueil et d’avarice et de tous les péchés,</l>
          <l>D’exalter aujourd’hui le caché des cachés,</l>
          <l>Le doux entre les doux à l’ignorance humaine</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et le mortifié sans pair que la Foi mène,</l>
          <l>Saignant de pénitence et blanc d’extase, chez</l>
          <l>Les peuples et les saints, qui, tous sens détachés,</l>
          <l>Fit de la Pauvreté son épouse et sa reine,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Comme un autre Alexis, comme un autre François,</l>
          <l>Et fut le Pauvre affreux, angélique, à la fois</l>
          <l>Pratiquant la douceur, l’horreur de l’Évangile !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Et pour ainsi montrer au monde qu’il a tort</l>
          <l>Et que les pieds crus d’or et d’argent sont d’argile,</l>
          <l>Comme l’Église est tendre et que Jésus et fort !</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p33">
        <pb n="65"/>
        <head>PARABOLES</head>
        <lg>
          <l>Soyez béni, Seigneur, qui m’avez fait chrétien</l>
          <l>Dans ces temps de féroce ignorance et de haine ;</l>
          <l>Mais donnez-moi la force et l’audace sereine</l>
          <l>De vous être à toujours fidèle comme un chien,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>De vous être l’agneau destiné qui suit bien</l>
          <l>Sa mère et ne sait faire au pâtre aucune peine,</l>
          <l>Sentant qu’il doit sa vie encore, après sa laine,</l>
          <l>Au maître, quand il veut utiliser ce bien,</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Le poisson, pour servir au Fils de monogramme,</l>
          <l>L’ânon obscur qu’un jour en triomphe il monta,</l>
          <l>Et, dans ma chair, les porcs qu’à l’abîme il jeta.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Car l’animal, meilleur que l’homme et que la femme,</l>
          <l>En ces temps de révolte et de duplicité,</l>
          <l>Fait son humble devoir avec simplicité.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p34">
        <pb n="66"/>
        <head>SONNET HEROÏQUE</head>
        <lg>
          <l>La Gueule parle : « L’or, et puis encore l’or,</l>
          <l>Toujours l’or, et la viande, et les vins, et la viande,</l>
          <l>Et l’or pour les vins fins et la viande, on demande</l>
          <l>Un trou sans fond pour l’or toujours et l’or encor ! »</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>La Panse dit : « A moi la chute du trésor !</l>
          <l>La viande, et les vins fins, et l’or, toute provende,</l>
          <l>A moi ! Dégringolez dans l’outre toute grande</l>
          <l>Ouverte du seigneur Nabuchodonosor ! »</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>L’<hi rend="sc">œil</hi> est de pur cristal dans les suifs de la face :</l>
          <l>Il brille, net et franc, près du vrai, rouge et faux,</l>
          <l>Seule perfection parmi tous les défauts.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>L’Ame attend vainement un remords efficace,</l>
          <l>Et dans l’impénitence agonise de faim</l>
          <l>Et de soif, et sanglote en pensant à L<hi rend="sc">a fin</hi>.</l>
        </lg>
        <dateline>1881.</dateline>
      </div>
      <div xml:id="p35">
        <pb n="67"/>
        <head>DRAPEAU VRAI</head>
        <salute>À Raymond de la Tailhède</salute>
        <lg>
          <l>Le soldat qui sait bien et veut bien son métier</l>
          <l>Sera l’homme qu’il faut au Devoir inflexible :</l>
          <l>Le Devoir, qu’il combatte ou qu’il tire à la cible,</l>
          <l>Qu’il s’essore à la mort ou batte un plat sentier ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Le Devoir, qu’il subisse (et l’aime !) un ordre altier</l>
          <l>Ou repousse le bas conseil de tel horrible</l>
          <l>Dégoût ; le Devoir bon, le Devoir dur, le crible</l>
          <l>Où restent les défauts de l’homme tout entier ;</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Le Devoir saint, la fière et douce Obéissance,</l>
          <l>Rappel de la Famille en dépit de la France</l>
          <l>Actuelle, au mépris de cette France-là !</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Famille, foyer, France antique et l’immortelle,</l>
          <l>Le Devoir seul devoir, le Soldat qu’appela</l>
          <l>D’avance cette France : or l’Espérance est telle.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p36">
        <pb n="68"/>
        <head>PENSÉE DU SOIR</head>
        <salute>À Ernest Raykaud</salute>
        <lg>
          <l>Couché dans l’herbe pâle et froide de l’exil,</l>
          <l>Sous les ifs et les pins qu’argente le grésil,</l>
          <l>Ou bien errant, semblable aux formes que suscite</l>
          <l>Le rêve, par l’horreur du paysage scythe,</l>
          <l>Tandis qu’autour, pasteurs de troupeaux fabuleux,</l>
          <l>S’effarouchent les blancs Barbares aux yeux bleus,</l>
          <l>Le poète de l’art d’Aimer, le tendre Ovide</l>
          <l>Embrasse l’horizon d’un long regard avide</l>
          <l>Et contemple la mer immense tristement.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Le cheveu poussé rare et gris que le tourment</l>
          <l>Des bises va mêlant sur le front qui se plisse,</l>
          <l>L’habit troué livrant la chair au froid, complice,</l>
          <l>Sous l’aigreur du sourcil tordu l’œil terne et las,</l>
          <l>La barbe épaisse, inculte et presque blanche, hélas</l>
          <l>Tous ces témoins qu’il faut d’un deuil expiatoire</l>
          <l>Disent une sinistre et lamentable histoire</l>
          <pb n="69"/>
          <l>D’amour excessif, d’âpre envie et de fureur</l>
          <l>Et quelque responsabilité d’Empereur.</l>
          <l>Ovide morne pense à Rome et puis encore</l>
          <l>A Rome que sa gloire illusoire décore.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Or, Jésus ! vous m’avez justement obscurci :</l>
          <l>Mais, n’étant pas Ovide, au moins je suis ceci.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p37">
        <pb n="70"/>
        <head>PAYSAGES</head>
        <salute>À Anatole France</salute>
        <lg>
          <l>Au pays de mon père on voit des bois sans nombre,</l>
          <l>Là des loups font parfois luire leurs yeux dans l’ombre</l>
          <l>Et la myrtile est noire au pied du chêne vert.</l>
          <l>Noire de profondeur, sur l’étang découvert,</l>
          <l>Sous la bise soufflant balsamiquement dure</l>
          <l>L’eau saute à petits flots, minéralement pure.</l>
          <l>Les villages de pierre ardoisière aux toits bleus</l>
          <l>Ont leur pacage et leur labourage autour d’eux.</l>
          <l>Du bétail non pareil s’y fait des chairs friandes.</l>
          <l>Sauvagement un peu parmi les hautes viandes ;</l>
          <l>Et l’habitant, grâce à la Foi sauve, est heureux.</l>
          <l>Au pays de ma mère est un sol plantureux</l>
          <l>Où l’homme, doux et fort, vit prince de la plaine</l>
          <l>De patients travaux pour quelles moissons pleine,</l>
          <l>Avec, rares, des bouquets d’arbres et de l’eau.</l>
          <l>L’industrie a sali par place ce tableau</l>
          <l>De paix patriarcale et de campagne dense</l>
          <l>Et compromis jusqu’à des points cette abondance,</l>
          <pb n="71"/>
          <l>Mais l’ensemble est resté, somme toute, très bien.</l>
          <l>Le peuple est froid et chaud, non sans un fond chrétien.</l>
          <l>Belle, très au-dessus de toute la contrée,</l>
          <l>Se dresse éperdument la tour démesurée</l>
          <l>D’un gothique beffroi sur le ciel balancé</l>
          <l>Attestant les devoirs et les droits du passé,</l>
          <l>Et tout en haut de lui le grand lion de Flandre</l>
          <l>Hurle en cris d’or dans l’air moderne : « Osez les prendre ! »</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Le pays de mon rêve est un site charmant</l>
          <l>Qui tient des deux aspects décrits précédemment :</l>
          <l>Quelque âpreté se mêle aux saveurs géorgiques.</l>
          <l>L’amour et le loisir même sont énergiques,</l>
          <l>Calmes, équilibrés sur l’ordre et le devoir.</l>
          <l>La vierge en général s’abstient du nonchaloir</l>
          <l>Dangereux aux vertus, et l’amant qui la presse</l>
          <l>A coutume avant tout d’éviter la paresse</l>
          <l>Où le vice puisa ses armes en tout temps.</l>
          <l>Si bien qu’en mon pays tous les cœurs sont contents,</l>
          <l>Sont, ou plutôt étaient.</l>
          <l part="F">Au cœur ou dans la tête.</l>
          <l>La tempête est venue. Est-ce bien la tempête ?</l>
          <l>En tout cas, il y eut de la grêle et du feu,</l>
          <l>Et la misère, et comme un abandon de Dieu.</l>
          <l>La mortalité fut sur les mères taries</l>
          <l>Des troupeaux rebutés par l’herbe des prairies.</l>
          <l>Et les jeunes sont morts après avoir langui</l>
          <l>D’un sort qu’on croyait parti d’où, jeté par qui ?</l>
          <pb n="72"/>
          <l>Dans les champs ravagés la terre diluée</l>
          <l>Comme une pire mer flotte en une buée.</l>
          <l>Des arbres détrempés les oiseaux sont partis,</l>
          <l>Laissant leurs nids et des squelettes de petits.</l>
          <l>D’amours de fiancés, d’union des ménages</l>
          <l>Il n’est plus question dans mes tristes parages.</l>
          <l>Mais la croix des clochers doucement toujours luit,</l>
          <l>Dans les cages plus d’une cloche encore bruit,</l>
          <l>Et, béni signal d’espérance et de refuge,</l>
          <l>L’arc-en-ciel apparaît comme après le déluge.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p38">
        <pb n="73"/>
        <head>LUCIEN LÉTINOIS</head>
        <div>
          <head>I</head>
          <lg>
            <l>Mon fils est mort. J’adore, ô mon Dieu, votre loi.</l>
            <l>Je vous offre les pleurs d’un cœur presque parjure ;</l>
            <l>Vous châtiez bien fort et parferez la foi</l>
            <l>Qu’alanguissait l’amour pour une créature.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Vous châtiez bien fort. Mon fils est mort, hélas !</l>
            <l>Vous me l’aviez donné, voici que votre droite</l>
            <l>Me le reprend à l’heure où mes pauvres pieds las</l>
            <l>Réclamaient ce cher guide en cette route étroite.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Vous me l’aviez donné, vous me le reprenez :</l>
            <l>Gloire à vous ! J’oubliais beaucoup trop votre gloire</l>
            <l>Dans la langueur d’aimer mieux les trésors donnés</l>
            <l>Que le Munificent de toute cette histoire.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Vous me l’aviez donné, je vous le rends très pur,</l>
            <l>Tout pétri de vertu, d’amour et de simplesse.</l>
            <l>C’est pourquoi, pardonnez, Terrible, à celui sur</l>
            <l>Le cœur de qui, Dieu fort, sévit cette faiblesse.</l>
          </lg>
          <pb n="74"/>
          <lg>
            <l>Et laissez-moi pleurer et faites-moi bénir</l>
            <l>L’élu dont vous voudrez certes que la prière</l>
            <l>Rapproche un peu l’instant si bon de revenir</l>
            <l>A lui dans Vous, Jésus, après ma mort dernière.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="75"/>
          <head>II</head>
          <lg>
            <l>Car vraiment j’ai souffert beaucoup !</l>
            <l>Débusqué, traqué comme un loup</l>
            <l>Qui n’en peut plus d’errer en chasse</l>
            <l>Du bon repos, du sûr abri,</l>
            <l>Et qui fait des bonds de cabri</l>
            <l>Sous les coups de toute une race.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>La Haine et l’Envie et l’Argent,</l>
            <l>Bons limiers au flair diligent,</l>
            <l>M’entourent, me serrent. Ça dure</l>
            <l>Depuis des jours, depuis des mois,</l>
            <l>Depuis des ans ! Dîner d’émois,</l>
            <l>Souper d’effrois, pitance dure !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Mais, dans l’horreur du bois natal,</l>
            <l>Voici le Lévrier fatal,</l>
            <l>La Mort. — Ah ! la bête et la brute ! —</l>
            <l>Plus qu’à moitié mort, moi, la Mort</l>
            <l>Pose sur moi sa patte et mord</l>
            <l>Ce cœur, sans achever la lutte !</l>
          </lg>
          <pb n="76"/>
          <lg>
            <l>Et je reste sanglant, tirant</l>
            <l>Mes pas saignants vers le torrent</l>
            <l>Qui hurle à travers mon bois chaste.</l>
            <l>Laissez-moi mourir au moins, vous,</l>
            <l>Mes frères pour de bon, les Loups ! —</l>
            <l>Que ma sœur, la Femme, dévaste.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="77"/>
          <head>III</head>
          <lg>
            <l>O la Femme ! Prudent, sage, calme ennemi,</l>
            <l>N’exagérant jamais ta victoire à demi,</l>
            <l>Tuant tous les blessés, pillant tout le butin,</l>
            <l>Et répandant le fer et la flamme au lointain,</l>
            <l>Ou bon ami, peu sûr mais tout de même bon,</l>
            <l>Et doux, trop doux souvent, tel un feu de charbon</l>
            <l>Qui berce le loisir, vous l’amuse et l’endort,</l>
            <l>Et parfois induit le dormeur en telle mort</l>
            <l>Délicieuse par quoi l’âme meurt aussi !</l>
            <l>Femme à jamais quittée, ô oui ! reçois ici,</l>
            <l>Non sans l’expression d’un injuste regret,</l>
            <l>L’insulte d’un qu’un seul remords ramènerait.</l>
            <l>Mais comme tu n’as pas de remords plus qu’un if</l>
            <l>N’a d’ombre vive, c’est l’adieu définitif.</l>
            <l>Arbre fatal sous qui gît mal l’Humanité,</l>
            <l>Depuis Eden jusques à Ce Jour Irrité.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="78"/>
          <head>IV</head>
          <lg>
            <l>Ma cousine Élisa, presque une sœur aînée</l>
            <l>Mieux qu’une sœur, ô toi, voici donc ramenée</l>
            <l>La saison de malheur où tu me quittas pour</l>
            <l>Ce toujours, — ce jamais ! Le voici de retour</l>
            <l>Le jour affreux qui m’a sevré de l’aile douce</l>
            <l>Où m’abriter contre tel chagrin de Tom Pouce,</l>
            <l>Tel bobo. Certes oui, pauvre maman était</l>
            <l>Bien, trop ! bonne, et mon cœur à la voir palpitait,</l>
            <l>Tressautait, et riait, et pleurait de l’entendre.</l>
            <l>Mais toi, je t’aimais autrement, non pas plus tendre,</l>
            <l>Plus familier, voilà. Car la Mère est toujours</l>
            <l>Au fond redoutée un petit et respectée</l>
            <l>Absolument, tandis qu’à jamais regrettée,</l>
            <l>Tu m’apparais, chère ombre, ainsi qu’en ton vivant,</l>
            <l>Blonde et rose au profil pourtant grave et rêvant</l>
            <l>Avec de beaux yeux bleus où s’instruisait mon âme</l>
            <l>De tout petit garçon, et plus tard, où la flamme</l>
            <l>De ma forte amitié chaste d’adolescent</l>
            <pb n="79"/>
            <l>Puis d’homme mettait un reflet incandescent.</l>
            <l>Et tu me fus d’abord guide puis camarade.</l>
            <l>Puis ami, non amie (une nuance fade).</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Et tu dors maintenant après m’avoir béni.</l>
            <l>Mais je sens bien qu’en moi quelque chose est fini.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="80"/>
          <head>V</head>
          <lg>
            <l>J’ai la fureur d’aimer. Mon cœur si faible est fou.</l>
            <l>N’importe quand, n’importe quel et n’importe où,</l>
            <l>Qu’un éclair de beauté, de vertu, de vaillance</l>
            <l>Luise, il s’y précipite, il y vole, il s’y lance,</l>
            <l>Et, le temps d’une étreinte, il embrasse cent fois</l>
            <l>L’être ou l’objet qu’il a poursuivi de son choix ;</l>
            <l>Puis, quand l’illusion a replié son aile,</l>
            <l>Il revient triste et seul bien souvent, mais fidèle,</l>
            <l>Et laissant aux ingrats quelque chose de lui,</l>
            <l>Sang ou chair. Mais, sans plus mourir dans son ennui,</l>
            <l>Il embarque aussitôt pour l’île des Chimères</l>
            <l>Et n’en rapporte rien que des larmes amères</l>
            <l>Qu’il savoure, et d’affreux désespoirs d’un instant,</l>
            <l>Puis rembarque.</l>
            <l part="F">— Il est brusque et volontaire tant</l>
            <l>Qu’en ses courses dans les infinis il arrive,</l>
            <l>Navigateur têtu, qu’il va droit à la rive,</l>
            <l>Sans plus s’inquiéter que s’il n’existait pas</l>
            <l>De l’écueil proche qui met son esquif à bas.</l>
            <pb n="81"/>
            <l>Mais lui fait de l’écueil un tremplin et dirige</l>
            <l>Sa nage vers le bord. L’y voilà. Le prodige</l>
            <l>Serait qu’il n’eût pas fait avidement le tour,</l>
            <l>Du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au jour,</l>
            <l>Et le tour et le tour encore du promontoire,</l>
            <l>Et rien ! Pas d’arbres ni d’herbes, pas d’eau pour boire,</l>
            <l>La faim, la soif, et les yeux brûlés du soleil,</l>
            <l>Et nul vestige humain, et pas un cœur pareil !</l>
            <l>Non pas à lui, — jamais il n’aura son semblable, —</l>
            <l>Mais un cœur d’homme, un cœur vivant, un cœur palpable</l>
            <l>Fût-il faux, fût-il lâche, un cœur ! quoi, pas un cœur !</l>
            <l>Il attendra, sans rien perdre de sa vigueur</l>
            <l>Que la fièvre soutient et l’amour encourage,</l>
            <l>Qu’un bateau montre un bout de mât dans ce parage,</l>
            <l>Et fera des signaux qui seront aperçus,</l>
            <l>Tel il raisonne. Et puis fiez-vous là-dessus ! —</l>
            <l>Un jour il restera non vu, l’étrange apôtre.</l>
            <l>Mais que lui fait la mort, sinon celle d’un autre ?</l>
            <l>Ah ! ses morts ! Ah ! ses morts, mais il est plus mort qu’eux !</l>
            <l>Quelque fibre toujours de son esprit fougueux</l>
            <l>Vit dans leur fosse et puise une tristesse douce ;</l>
            <l>Il les aime comme un oiseau son nid de mousse ;</l>
            <l>Leur mémoire est son cher oreiller, il y dort,</l>
            <l>Il rêve d’eux, les voit, cause avec et s’endort</l>
            <l>Plein d’eux que pour encor quelque effrayante affaire</l>
            <l>J’ai la fureur d’aimer. Qu’y faire ? Ah ! laisser faire !</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="82"/>
          <head>VI</head>
          <lg>
            <l>O ses lettres d’alors ! les miennes elles-mêmes !</l>
            <l>Je ne crois pas qu’il soit des choses plus suprêmes.</l>
            <l>J’étais, je ne puis dire mieux, vraiment très bien,</l>
            <l>Ou plutôt, je puis dire tout, vraiment chrétien.</l>
            <l>J’éclatais de sagesse et de sollicitude,</l>
            <l>Mettant tout mon soin pieux, toute l’étude</l>
            <l>Dont tout mon être était capable, à confirmer</l>
            <l>Cette âme dans l’effort de prier et d’aimer.</l>
            <l>Oui, j’étais devant Dieu qui m’écoute, si j’ose</l>
            <l>Le dire, quel que soit l’orgueil fou que suppose</l>
            <l>Un tel serment juré sur sa tête qui dort,</l>
            <l>Pur comme un saint et mûr pour cette bonne mort,</l>
            <l>Qu’aujourd’hui j’entrevois à travers bien des doutes.</l>
            <l>Mais lui ! ses lettres ! l’ange ignorant de nos routes,</l>
            <l>Le pur esprit vêtu d’une innocente chair !</l>
            <l>O souvenir, de tous peut-être mon plus cher !</l>
            <l>Mots frais, la phrase enfant, style naïf et chaste</l>
            <l>Où marche la vertu dans la sorte de faste,</l>
            <pb n="83"/>
            <l>Déroulement d’encens, cymbales de cristal,</l>
            <l>Qui sied à la candeur de cet âge natal,</l>
            <l>Vingt ans !</l>
            <l part="F">Trois ans après il naissait dans la gloire</l>
            <l>Éternelle, emplissant à jamais ma mémoire.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="84"/>
          <head>VII</head>
          <lg>
            <l>Mon fils est brave ; il va sur son cheval de guerre,</l>
            <l>Sans reproche et sans peur par la route du bien,</l>
            <l>Un dur chemin d’embûche et de piège où naguère</l>
            <l>Encore il fut blessé et vainquit en chrétien.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Mon fils est fier : en vain sa jeunesse et sa force</l>
            <l>L’invitent au plaisir par les langueurs du soir,</l>
            <l>Mon enfant se remet, rit de la vile amorce,</l>
            <l>Et, les yeux en avant, aspire au seul devoir.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Mon fils est bon : un jour que du bout de son aile</l>
            <l>Le soupçon d’une faute effleurait mes cheveux,</l>
            <l>Mon enfant, pressentant l’angoisse paternelle,</l>
            <l>S’en vint me consoler en de nobles aveux.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Mon fils est fort : son cœur était méchant, maussade,</l>
            <l>Irrité, dépité ; mon enfant dit : « Tout beau,</l>
            <l>Ceci ne sera pas. Au médecin, malade ! »</l>
            <l>Vint au prêtre, et partit avec un cœur nouveau.</l>
          </lg>
          <pb n="85"/>
          <lg>
            <l>Mais surtout que mon fils est beau ! Dieu l’environne</l>
            <l>De lumière et d’amour, parce qu’il fut pieux</l>
            <l>Et doux et digne encor de la Sainte Couronne</l>
            <l>Réservée aux soldats du combat pour les cieux.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Chère tête un instant courbée, humiliée</l>
            <l>Sous le Verbe éternel du Règne triomphant,</l>
            <l>Sois bénie à présent que réconciliée.</l>
            <l>— Et je baise le front royal de mon enfant !</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="86"/>
          <head>VIII</head>
          <lg>
            <l>O l’odieuse obscurité</l>
            <l>Du jour le plus gai de l’année</l>
            <l>Dans la monstrueuse cité</l>
            <l>Où se fit notre destinée !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Au lieu du bonheur attendu,</l>
            <l>Quel deuil profond, quelles ténèbres !</l>
            <l>J’en étais comme un mort, et tu</l>
            <l>Flottais en des pensers funèbres.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>La nuit croissait avec le jour</l>
            <l>Sur notre vitre et sur notre âme,</l>
            <l>Tel un pur, un sublime amour</l>
            <l>Qu’eût étreint la luxure infâme ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Et l’affreux brouillard refluait</l>
            <l>Jusqu’en la chambre où la bougie</l>
            <l>Semblait un reproche muet</l>
            <l>Pour quelque lendemain d’orgie,</l>
          </lg>
          <pb n="87"/>
          <lg>
            <l>Un remords de péché mortel</l>
            <l>Serrait notre cœur solitaire...</l>
            <l>Puis notre désespoir fut tel</l>
            <l>Que nous oubliâmes la terre,</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Et que pensant au seul Jésus</l>
            <l>Né rien que pour ce jour même,</l>
            <l>Notre foi prenant le dessus</l>
            <l>Nous éclaira du jour suprême,</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>— Bonne tristesse qu’aima Dieu !</l>
            <l>Brume dont se voilait la Grâce,</l>
            <l>Crainte que l’éclat de son feu</l>
            <l>Ne fatiguât notre âme lasse.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Délicates attentions</l>
            <l>D’une Providence attendrie !...</l>
            <l>O parfois encore soyons</l>
            <l>Ainsi tristes, âme chérie !</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="88"/>
          <head>IX</head>
          <lg>
            <l>Tout en suivant ton blanc convoi, je me disais</l>
            <l>Pourtant : C’est vrai, Dieu t’a repris quand tu faisais</l>
            <l>Sa joie et dans l’éclair de ta blanche innocence.</l>
            <l>Plus tard la Femme eût mis sans doute en sa puissance</l>
            <l>Ton cœur ardent vers elle affrontée un moment</l>
            <l>Seulement et t’ayant laissé le tremblement</l>
            <l>D’elle, et du trouble en l’âme à cause d’une étreinte ;</l>
            <l>Mais tu t’en détournas bientôt par noble crainte</l>
            <l>Et revins à la simple, à la noble Vertu,</l>
            <l>Tout entier à fleurir, lys un instant battu</l>
            <l>Des passions, et plus viril après l’orage,</l>
            <l>Plus magnifique pour le céleste suffrage</l>
            <l>Et la gloire éternelle... Ainsi parlait ma foi.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Mais quelle horreur de suivre, ô toi ! ton blanc convoi !</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="89"/>
          <head>X</head>
          <lg>
            <l>Il patinait merveilleusement,</l>
            <l>S’élançant, qu’impétueusement !</l>
            <l>R’arrivant si joliment vraiment.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Fin comme une grande jeune fille</l>
            <l>Brillant, vif et fort, telle une aiguille,</l>
            <l>La souplesse, l’élan d’une anguille.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Des jeux d’optique prestigieux,</l>
            <l>Un tourment délicieux des yeux,</l>
            <l>Un éclair qui serait gracieux.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Parfois il restait comme invisible,</l>
            <l>Vitesse en route vers une cible</l>
            <l>Si lointaine, elle-même invisible...</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Invisible de même aujourd’hui.</l>
            <l>Que sera-t-il advenu de lui ?</l>
            <l>Que sera-t-il advenu de lui ?</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="90"/>
          <head>XI</head>
          <lg>
            <l>La Belle au Bois dormait, Cendrillon sommeillait.</l>
            <l>Madame Barbe-bleue ? elle attendait ses frères ;</l>
            <l>Et le petit Poucet, loin de l’ogre si laid,</l>
            <l>Se reposait sur l’herbe en chantant des prières.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>L’oiseau couleur-de-temps planait dans l’air léger</l>
            <l>Qui caresse la feuille au sommet des bocages</l>
            <l>Très nombreux, tout petits, et rêvant d’ombrager</l>
            <l>Semaille, fenaison, et les autres ouvrages.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Les fleurs des champs, les fleurs innombrables des champs,</l>
            <l>Plus belles qu’un jardin où l’Homme a mis ses tailles,</l>
            <l>Ses coupes et son goût à lui, — les fleurs des gens ! —</l>
            <l>Flottaient comme un tissu très fin dans l’or des pailles,</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Et, fleurant simple, ôtaient au vent sa crudité,</l>
            <l>Au vent fort mais alors atténué, de l’heure</l>
            <l>Où l’après-midi va mourir. Et la bonté</l>
            <l>Du paysage au cœur disait : Meurs ou demeure !</l>
          </lg>
          <pb n="91"/>
          <lg>
            <l>Les blés encore verts, les seigles déjà blonds</l>
            <l>Accueillaient l’hirondelle en leur flot pacifique.</l>
            <l>Un tas de voix d’oiseaux criait vers les sillons</l>
            <l>Si doucement qu’il ne faut pas d’autre musique...</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Peau-d’Ane rentre. On bat la retraite — écoutez ! —</l>
            <l>Dans les États voisins de Riquet-à-la-Houppe,</l>
            <l>Et nous joignons l’auberge, enchantés, esquintés,</l>
            <l>Le bon coin où se coupe et se trempe la soupe !</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="92"/>
          <head>XII</head>
          <lg>
            <l>Je te vois encore à cheval</l>
            <l>Tandis que chantaient les trompettes,</l>
            <l>Et ton petit air martial</l>
            <l>Chantait aussi quand les trompettes ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Je te vois toujours en treillis</l>
            <l>Comme un long Pierrot de corvée</l>
            <l>Très élégant sous le treillis</l>
            <l>D’une allure toute trouvée ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Je te vois autour des canons,</l>
            <l>Frêles doigts dompteurs de colosses.</l>
            <l>Grêles voix pleines de crés noms,</l>
            <l>Bras chétifs vainqueurs de colosses ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Et je te rêvais une mort</l>
            <l>Militaire, sûre et splendide,</l>
            <l>Mais Dieu vint qui te fit la mort</l>
            <l>Confuse de la typhoïde...</l>
          </lg>
          <pb n="93"/>
          <lg>
            <l>Seigneur, j’adore vos desseins,</l>
            <l>Mais comme ils sont impénétrables !</l>
            <l>Je les adore, vos desseins,</l>
            <l>Mais comme ils sont impénétrables !</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="94"/>
          <head>XIII</head>
          <lg>
            <l>Le petit coin, le petit nid</l>
            <l>  Que j’ai trouvés,</l>
            <l>Les grands espoirs que j’ai couvés,</l>
            <l>  Dieu les bénit.</l>
            <l>Les heures des fautes passées</l>
            <l>  Sont effacées</l>
            <l>Au pur cadran de mes pensées.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>L’innocence m’entoure et toi,</l>
            <l>  Simplicité.</l>
            <l>Mon cœur par Jésus visité</l>
            <l>  Manque de quoi ?</l>
            <l>Ma pauvreté, ma solitude,</l>
            <l>  Pain dur, lit rude,</l>
            <l>Quel soin jaloux ! l’exquise étude !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>L’âme aimante au cœur fait exprès,</l>
            <l>  Ce dévouement,</l>
            <l>Viennent donner un dénouement</l>
            <l>  Calme et si frais</l>
            <pb n="95"/>
            <l>A la détresse de ma vie</l>
            <l>  Inassouvie</l>
            <l>D’avoir satisfait toute envie !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Seigneur, ô merci. N’est-ce pas</l>
            <l>  La bonne mort ?</l>
            <l>Aimez mon patient effort</l>
            <l>  Et nos combats.</l>
            <l>Les miens et moi, le ciel nous voie</l>
            <l>  Par l’humble voie</l>
            <l>Entrer, Seigneur, dans Votre joie.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="96"/>
          <head>XIV</head>
          <lg>
            <l>Notre essai de culture eut une triste fin,</l>
            <l>Mais il fit mon délire un long temps et ma joie :</l>
            <l>J’y voyais se développer ton être fin</l>
            <l>Dans ce beau travail qui bénit ceux qu’il emploie ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>J’y voyais ton profil fluet sur l’horizon</l>
            <l>Marcher comme à pas vifs derrière la charrue,</l>
            <l>Gourmandant les chevaux ainsi que de raison,</l>
            <l>Sans colère, et criant diah et criant hue ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Je te voyais herser, rouler, faucher parfois,</l>
            <l>Consultant les anciens, inquiet d’un nuage,</l>
            <l>L’hiver à la batteuse ou liant dans nos bois,</l>
            <l>Je t’aidais, vite hors d’haleine et tout en nage.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Le dimanche, en l’éveil des cloches, tu suivais</l>
            <l>Le chemin de jardins pour aller à la Messe ;</l>
            <l>Après midi, l’auberge une heure où tu buvais</l>
            <l>Pour dire, et puis la danse aux soirs de grand’liesse.</l>
          </lg>
          <pb n="97"/>
          <lg>
            <l>Hélas ! tout ce bonheur que je croyais permis,</l>
            <l>Vertu, courage à deux, non mépris de la foule</l>
            <l>Mais pitié d’elle avec très peu de bons amis,</l>
            <l>Croula dans des choses d’argent comme un mur croule</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Après, tu meurs ! — Un dol sans pair livre à la Faim</l>
            <l>Ma fierté, ma vigueur, et la gloire apparue...</l>
            <l>Ah ! frérot ! est-ce enfin là-haut ton spectre fin</l>
            <l>Qui m’appelle à grands bras derrière la charrue ?</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="98"/>
          <head>XV</head>
          <lg>
            <l>Puisque encore déjà la sottise tempête,</l>
            <l>Explique alors la chose, ô malheureux poète.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Je connus cet enfant, mon amère douceur,</l>
            <l>Dans un pieux collège où j’étais professeur.</l>
            <l>Ses dix-sept ans mutins et maigres, sa réelle</l>
            <l>Intelligence, et la pureté vraiment belle</l>
            <l>Que disaient et ses yeux et son geste et sa voix,</l>
            <l>Captivèrent mon cœur et dictèrent mon choix</l>
            <l>De lui pour fils, puisque, mon vrai fils, mes entrailles.</l>
            <l>On me le cache en manière de représailles</l>
            <l>Pour je ne sais quels torts charnels et surtout pour</l>
            <l>Un fier départ à la recherche de l’amour</l>
            <l>Loin d’une vie aux platitudes résignée !</l>
            <l>Oui, surtout et plutôt pour ma fuite indignée</l>
            <l>En compagnie illustre et fraternelle vers</l>
            <l>Tous les points du physique et moral univers,</l>
            <l>— Il paraît que les gens dirent jusqu’à Sodome, —</l>
            <l>Où mourussent les cris de Madame Prudhomme !</l>
            <pb n="99"/>
            <l>Je lui fis part de mon dessein. Il accepta.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Il avait des parents qu’il aimait, qu’il quitta</l>
            <l>D’esprit pour être mien, tout en restant son maître</l>
            <l>Et maître de son cœur, de son âme peut-être,</l>
            <l>Mais de son esprit, plus.</l>
            <l part="F">Ce fut bien, ce fut beau,</l>
            <l>Et ç’eût été trop bon, n’eût été le tombeau.</l>
            <l>Jugez.</l>
            <l part="F">En même temps que toutes mes idées,</l>
            <l>(Les bonnes !) entraient dans son esprit, précédées</l>
            <l>De l’Amitié jonchant leur passage de fleurs,</l>
            <l>De lui, simple et blanc comme un lys calme aux couleurs</l>
            <l>D’innocence candide et d’espérance verte,</l>
            <l>L’Exemple descendait sur mon âme entr’ouverte</l>
            <l>Et sur mon cœur qu’il pénétrait plein de pitié,</l>
            <l>Par un chemin semé des fleurs de l’Amitié ;</l>
            <l>Exemple des vertus joyeuses, la franchise,</l>
            <l>La chasteté, la foi naïve dans l’Église,</l>
            <l>Exemple des vertus austères, vivre en Dieu,</l>
            <l>Le chérir en tout temps et le craindre en tout lieu,</l>
            <l>Sourire, que l’instant soit léger ou sévère,</l>
            <l>Pardonner, qui n’est pas une petite affaire !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Cela dura six ans, puis l’ange s’envola,</l>
            <l>Dès lors je vais hagard et comme ivre. Voilà.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="100"/>
          <head>XVI</head>
          <lg>
            <l>Cette adoption de toi pour mon enfant</l>
            <l>Puisque l’on m’avait volé mon fils réel,</l>
            <l>Elle n’était pas dans les conseils du ciel,</l>
            <l>Je me le suis dit, en pleurant, bien souvent ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Je me le suis dit toujours devant la tombe</l>
            <l>Noire de fusains, blanche de marguerites,</l>
            <l>Elle fut sans doute un de ces démérites</l>
            <l>Cause de ces mots où voici que je tombe,</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Ce fut, je le crains, un faux raisonnement.</l>
            <l>A bien réfléchir je n’avais pas le droit,</l>
            <l>Pour me consoler dans mon chemin étroit,</l>
            <l>De te choisir, même ô si naïvement,</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Même ô pour ce plan d’humble vertu cachée :</l>
            <l>Quelques champs autour d’une maison sans faste</l>
            <l>Que connaît le pauvre, et sur un bonheur chaste</l>
            <l>La grâce de Dieu complaisamment penchée !</l>
          </lg>
          <pb n="101"/>
          <lg>
            <l>Fallait te laisser pauvre et gai dans ton nid,</l>
            <l>Ne pas te mêler à mes jeux orageux,</l>
            <l>Et souffrir l’exil en proscrit courageux,</l>
            <l>L’exil loin du fils né d’un amour bénit.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Il me reviendrait, le fils des justes noces,</l>
            <l>A l’époque d’être au moment d’être un homme,</l>
            <l>Quand il comprendrait, quand il sentirait comme</l>
            <l>Son père endura de sottises féroces !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Cette adoption fut le fruit défendu ;</l>
            <l>J’aurais dû passer dans l’odeur et le frais</l>
            <l>De l’arbre et du fruit sans m’arrêter auprès.</l>
            <l>Le ciel m’a puni... J’aurais dû, j’aurais dû !</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="102"/>
          <head>XVII</head>
          <lg>
            <l>Ce portrait qui n’est pas ressemblant,</l>
            <l>Qui fait roux tes cheveux noirs plutôt,</l>
            <l>Qui fait rose ton teint brun plutôt,</l>
            <l>Ce pastel, comme il est ressemblant !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Car il peint la beauté de ton âme,</l>
            <l>La beauté de ton âme un peu sombre</l>
            <l>Mais si chère au fond que, sur mon âme,</l>
            <l>Il a raison de n’avoir pas d’ombre.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Tu n’étais pas beau dans le sens vil</l>
            <l>Qu’il paraît qu’il faut pour plaire aux dames,</l>
            <l>Et, pourtant, de face et de profil,</l>
            <l>Tu plaisais aux hommes comme aux femmes,</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Ton nez certes n’était pas si droit,</l>
            <l>Mais plus court qu’il n’est dans le pastel,</l>
            <l>Mais plus vivant que dans le pastel,</l>
            <l>Mais aussi long et droit que de droit.</l>
          </lg>
          <pb n="103"/>
          <lg>
            <l>Ta lèvre et son ombre de moustache</l>
            <l>Fut rouge moins qu’en cette peinture</l>
            <l>Où tu n’as pas du tout de moustache,</l>
            <l>Mais c’est ta souriance si pure.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Ton port de cou n’était pas si dur,</l>
            <l>Mais flexible, et d’un aigle et d’un cygne ;</l>
            <l>Car ta fierté parfois primait sur</l>
            <l>Ta douceur dive et ta grâce insigne.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Mais tes yeux, ah ! tes yeux, c’est bien eux,</l>
            <l>Leur regard triste et gai, c’est bien lui,</l>
            <l>Leur éclat apaisé c’est bien lui,</l>
            <l>Ces sourcils orageux, que c’est eux !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Ah ! portrait qu’en tous les lieux j’emporte</l>
            <l>Où m’emporte une fausse espérance,</l>
            <l>Ah ! pastel spectre, te voir m’emporte</l>
            <l>Où ? parmi tout, jouissance et transe !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>O l’élu de Dieu, priez pour moi,</l>
            <l>Toi qui sur terre étais mon bon ange ;</l>
            <l>Car votre image, plein d’alme émoi,</l>
            <l>Je la vénère d’un culte étrange.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="104"/>
          <head>XVIII</head>
          <lg>
            <l>Ame, te souvient-il, au fond du paradis,</l>
            <l>De la gare d’Auteuil et des trains de jadis</l>
            <l>T’amenant chaque jour, venus de La Chapelle ?</l>
            <l>Jadis déjà ! Combien pourtant je me rappelle</l>
            <l>Mes stations au bas du rapide escalier</l>
            <l>Dans l’attente de toi, sans pouvoir oublier</l>
            <l>Ta grâce en descendant les marches, mince et leste</l>
            <l>Comme un ange le long de l’échelle céleste,</l>
            <l>Ton sourire amical ensemble et filial,</l>
            <l>Ton serrement de main cordial et loyal,</l>
            <l>Ni tes yeux d’innocent, doux mais vifs, clairs et sombres</l>
            <l>Qui m’allaient droit au cœur et pénétraient mes ombres.</l>
            <l>Après les premiers mots de bonjour et d’accueil,</l>
            <l>Mon vieux bras dans le tien, nous quittions cet Auteuil,</l>
            <l>Et sous les arbres pleins d’une gente musique,</l>
            <l>Notre entretien était souvent métaphysique.</l>
            <l>O tes forts arguments, ta foi du charbonnier !</l>
            <l>Non sans quelque tendance, ô si franche ! à nier,</l>
            <l>Mais si vite quittée au premier pas du doute !</l>
            <l>Et puis nous rentrions, plus que lents, par la route</l>
            <pb n="105"/>
            <l>Un peu des écoliers, chez moi, chez nous plutôt,</l>
            <l>Y déjeuner de rien, fumailler vite et tôt,</l>
            <l>Et dépêcher longtemps une vague besogne.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Mon pauvre enfant, ta voix dans le bois de Boulogne !</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="106"/>
          <head>XIX</head>
          <lg>
            <l>Il m’arrivait souvent, seul avec ma pensée,</l>
            <l>— Pour le fils de son nom tel un père de chair, —</l>
            <l>D’aimer à te rêver dans un avenir cher</l>
            <l>La parfaite, la belle et sage fiancée.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Je cherchais, je trouvais, jamais content assez,</l>
            <l>Amoureux tout d’un coup et prompt à me reprendre,</l>
            <l>Tour à tour confiant et jaloux, froid et tendre,</l>
            <l>Me crispant en soupçons, plein de soins empressés,</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Prenant ta cause enfin jusqu’à tenir ta place,</l>
            <l>Tant j’étais tien, que dis-je là ? tant j’étais toi,</l>
            <l>Un toi qui t’aimait mieux, savait mieux qui et quoi,</l>
            <l>Discernait ton bonheur de quel cœur perspicace !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Puis, comme ta petite femme s’incarnait,</l>
            <l>Toute prête, vertu, bon nom, grâce et le reste,</l>
            <l>O nos projets ! voici que le Père céleste,</l>
            <l>Mieux informé, rompit le mariage net.</l>
          </lg>
          <pb n="107"/>
          <lg>
            <l>Et ravit, pour la Seule épouse, pour la Gloire</l>
            <l>Éternelle, ton âme aux plus ultimes cieux,</l>
            <l>En attendant que ressuscite glorieux</l>
            <l>Ton corps, aimable et fin compagnon de victoire.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="108"/>
          <head>XX</head>
          <lg>
            <l>Tu mourus dans la salle Serre,</l>
            <l>A l’hospice de la Pitié ;</l>
            <l>On avait jugé nécessaire</l>
            <l>De t’y mener mort à moitié.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>J’ignorais cet acte funeste.</l>
            <l>Quand j’y courus et que j’y fus,</l>
            <l>Ce fut pour recueillir le reste</l>
            <l>De ta vie en propos confus.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Et puis, et puis, je me rappelle</l>
            <l>Comme d’hier, en vérité :</l>
            <l>Nous obtenons qu’à la chapelle</l>
            <l>Un service en noir soit chanté :</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Les cierges autour de la bière</l>
            <l>Flambent comme des yeux levés</l>
            <l>Dans l’extase d’une prière</l>
            <l>Vers des paradis retrouvés ;</l>
          </lg>
          <pb n="109"/>
          <lg>
            <l>La croix du tabernacle et celle</l>
            <l>De l’absoute luisent ainsi</l>
            <l>Qu’un espoir infini que scelle</l>
            <l>La Parole et le Sang aussi ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>La bière est blanche qu’illumine</l>
            <l>La cire et berce le plain-chant</l>
            <l>De promesse et de paix divine,</l>
            <l>Berceau plus frêle et plus touchant.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="110"/>
          <head>XXI</head>
          <lg>
            <l>Si tu ne mourus pas entre mes bras,</l>
            <l>Ce fut tout comme, et de ton agonie,</l>
            <l>J’en vis assez, ô détresse infinie !</l>
            <l>Tu délirais, plus pâle que tes draps ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Tu me tenais, d’une voix trop lucide,</l>
            <l>Des propos doux et fous, « que j’étais mort,</l>
            <l>Que c’était triste », et tu serrais très fort</l>
            <l>Ma main tremblante, et regardais à vide ;</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Je me tournais, n’en pouvant plus de pleurs.</l>
            <l>Mais ta fièvre voulait suivre son thème,</l>
            <l>Tu m’appelais par mon nom de baptême,</l>
            <l>Puis ce fut tout, ô douleurs des douleurs !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>J’eusse en effet dû mourir à ta place,</l>
            <l>Toi debout, là, présidant nos adieux... !</l>
            <l>Je dis cela faute de dire mieux.</l>
            <l>Et pardonnez, Dieu juste, à mon audace.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="111"/>
          <head>XXII</head>
          <lg>
            <l>L’affreux Ivry dévorateur</l>
            <l>A tes reliques dans sa terre</l>
            <l>Sous de pâles fleurs sans odeur</l>
            <l>Et des arbres nains sans mystère.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Je laisse les charniers flétris</l>
            <l>Où gît la moitié de Paris.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Car, mon fils béni, tu reposes</l>
            <l>Sur le territoire d’Ivry-</l>
            <l>Commune, où, du moins, mieux encloses,</l>
            <l>Les tombes dorment à l’abri</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Du flot des multitudes bêtes,</l>
            <l>Les dimanches, jeudis et fêtes.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Le cimetière est trivial</l>
            <l>Dans la campagne révoltante,</l>
            <l>Mais je sais le coin filial</l>
            <l>Où ton corps a planté sa tente.</l>
          </lg>
          <pb n="112"/>
          <lg>
            <l>— Ami, je viens parler à toi.</l>
            <l>— Commence par prier pour moi.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Bien pieusement je me signe</l>
            <l>Devant la croix de pierre et dis</l>
            <l>En sanglotant à chaque ligne</l>
            <l>Un très humble <hi rend="i">De profundis.</hi></l>
          </lg>
          <lg>
            <l>— Alors ta belle âme est sauvée ?</l>
            <l>— Mais par quel désir éprouvée !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Les fleurettes du jardinet</l>
            <l>Sont bleuâtres et rose tendre</l>
            <l>Et blanches, et l’on reconnaît</l>
            <l>Des soins qu’il est juste d’attendre.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>— Le désir, sans doute, de Dieu ?</l>
            <l>— Oui, rien n’est plus dur que ce feu.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Les couronnes renouvelées</l>
            <l>Semblent d’agate et de cristal ;</l>
            <l>Des feuilles d’arbres des allées</l>
            <l>Tournent dans un grand vent brutal.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>— Comme tu dois souffrir, pauvre âme !</l>
            <l>— Rien n’est plus doux que dans cette flamme,</l>
          </lg>
          <pb n="113"/>
          <lg>
            <l>Voici le soir gris qui descend ;</l>
            <l>Il faut quitter le cimetière,</l>
            <l>Et je m’éloigne en t’adressant</l>
            <l>Une invocation dernière :</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>— Ame vers Dieu, pensez à moi.</l>
            <l>— Commence par prier pour toi.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="114"/>
          <head>XXIII</head>
          <lg>
            <l>O Nouvelle-Forêt ! nom de féerie et d’armes !</l>
            <l>Le mousquet a souvent rompu philtres et charmes</l>
            <l>Sous tes rameaux où le rossignol s’effarait.</l>
            <l>O Shakspeare ! ô Cromwell ! ô Nouvelle-Forêt !</l>
            <l>Non désormais joli seulement, plus tragique</l>
            <l>Ni magique, mais, par une aimable logique,</l>
            <l>Encadrant Lymington, vieux bourg, le plus joli</l>
            <l>Et le plus vieux des bourgs jadis guerriers, d’un pli</l>
            <l>D’arbres sans nombre vains de leur grâce hautaine,</l>
            <l>Avec la mer qui rêve haut, pas très lointaine,</l>
            <l>Comme un puissant écho des choses d’autrefois.</l>
            <l>J’y vécus solitaire, ou presque, quelques mois,</l>
            <l>Solitaire et caché, — comme, tapi sous l’herbe,</l>
            <l>Tout ce passé dormant aux pieds du bois superbe, —</l>
            <l>Non sans, non plus, dans l’ombre et le silence fiers,</l>
            <l>Moi, le cri sourd de mes avant-derniers hiers,</l>
            <l>Passion, ironie, atroce grosse joie !</l>
            <l>Non sans, non plus, sur la dive corde de soie</l>
            <l>Et d’or du cœur désormais pur, cette chanson,</l>
            <l>La meilleure ! d’amour filial au frisson</l>
            <pb n="115"/>
            <l>Béni certes. — O ses lettres dans la semaine</l>
            <l>Par la boîte vitrée, et que fou je promène,</l>
            <l>Fou de plaisir, à travers bois, les relisant</l>
            <l>Cent fois. — Et cet Ivry-commune d’à-présent.</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="116"/>
          <head>XXIV</head>
          <lg>
            <l>Ta voix grave et basse</l>
            <l>Pourtant était douce</l>
            <l>Comme du velours,</l>
            <l>Telle, en ton discours,</l>
            <l>Sur de sombre mousse</l>
            <l>De belle eau qui passe.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Ton rire éclatait</l>
            <l>Sans gêne et sans art,</l>
            <l>Franc, sonore et libre.</l>
            <l>Tel, au bois qui vibre,</l>
            <l>Un oiseau qui part</l>
            <l>Trillant son motet.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Cette voix, ce rire</l>
            <l>Font dans ma mémoire,</l>
            <l>Qui te voit souvent</l>
            <l>Et mort et vivant,</l>
            <l>Comme un bruit de gloire</l>
            <l>Dans quelque martyre.</l>
          </lg>
          <pb n="117"/>
          <lg>
            <l>Ma tristesse en toi</l>
            <l>S’égaie à ces sons</l>
            <l>Qui disent : « Courage ! »</l>
            <l>Au cœur que l’orage</l>
            <l>Emplit des frissons</l>
            <l>De quel triste émoi !</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Orage, ta rage.</l>
            <l>Tais-la, que je cause</l>
            <l>Avec mon ami</l>
            <l>Qui semble endormi,</l>
            <l>Mais qui se repose</l>
            <l>En un conseil sage...</l>
          </lg>
        </div>
        <div>
          <pb n="118"/>
          <head>XXV</head>
          <lg>
            <l>O mes morts tristement nombreux</l>
            <l>Qui me faites un dôme ombreux</l>
            <l>De paix, de prière et d’exemple,</l>
            <l>Comme autrefois le Dieu vivant</l>
            <l>Daigna vouloir qu’un humble enfant</l>
            <l>Se sanctifiât dans le temple.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>O mes morts penchés sur mon cœur,</l>
            <l>Pitoyables à sa langueur,</l>
            <l>Père, mère, âmes angéliques,</l>
            <l>Et toi qui fus mieux qu’une sœur,</l>
            <l>Et toi, jeune homme de douceur</l>
            <l>Pour qui ces vers mélancoliques,</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Et vous tous, la meilleure part</l>
            <l>De mon âme, dont le départ</l>
            <l>Flétrit mon heure la meilleure,</l>
            <l>Ami que votre heure faucha,</l>
            <l>O mes morts, voyez que déjà</l>
            <l>Il se fait temps qu’aussi je meure.</l>
          </lg>
          <pb n="119"/>
          <lg>
            <l>Car plus rien sur terre qu’exil !</l>
            <l>Et pourquoi Dieu retire-t-il</l>
            <l>Le pain lui-même de ma bouche,</l>
            <l>Sinon pour me rejoindre à vous</l>
            <l>Dans son sein redoutable et doux,</l>
            <l>Loin de ce monde âpre et farouche.</l>
          </lg>
          <lg>
            <l>Aplanissez-moi le chemin,</l>
            <l>Venez me prendre par la main,</l>
            <l>Soyez mes guides dans la gloire,</l>
            <l>Ou bien plutôt, — Seigneur vengeur ! —</l>
            <l>Priez pour un pauvre pêcheur</l>
            <l>Indigne encor du Purgatoire.</l>
          </lg>
        </div>
      </div>
      <div xml:id="p39">
        <pb n="120"/>
        <head>BATIGNOLLES</head>
        <lg>
          <l>Un grand bloc de grès ; quatre noms : mon père</l>
          <l>Et ma mère et moi, puis mon fils bien tard.</l>
          <l>Dans l’étroite paix du plat cimetière</l>
          <l>Blanc et noir et vert, au long du rempart.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Cinq tables de grès ; le tombeau nu, fruste,</l>
          <l>En un carré long, haut d’un mètre et plus,</l>
          <l>Qu’une chaîne entoure et décore juste,</l>
          <l>Au bas du faubourg qui ne bruit plus.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>C’est de là que la trompette de l’ange</l>
          <l>Fera se dresser nos corps ranimés</l>
          <l>Pour la vie enfin qui jamais ne change,</l>
          <l>O vous, père et mère et fils bien-aimés.</l>
        </lg>
      </div>
      <div xml:id="p40">
        <pb n="121"/>
        <head>A GEORGES VERLAINE</head>
        <lg>
          <l>Ce livre ira vers toi comme celui d’Ovide</l>
          <l>   S’en alla vers la Ville.</l>
          <l>Il fut chassé de Rome ; un coup bien plus perfide</l>
          <l>   Loin de mon fils m’exile.</l>
        </lg>
        <lg>
          <l>Te reverrai-je ? Et quel ? Mais quoi ? moi mort ou non</l>
          <l>   Voici mon testament :</l>
          <l>Crains Dieu, ne hais personne, et porte bien ton nom</l>
          <l>   Qui fut porté dûment.</l>
        </lg>
        <pb n="122"/>
      </div>
    </body>
  </text>
</TEI>